Commentaires de décisions et arrêtsLes effets concrets d’un avantage inhérent au statut d’EPIC doivent se démontrer : arrêt IFPEN du 26 mai 2016.

27 octobre 2019

Par François Gagnaire, consultant Aides d’Etat Conseil.

Les effets concrets d’un avantage inhérent au statut d’EPIC doivent se démontrer : arrêt IFPEN du 26 mai 2016.

I Les faits.

L’Institut Français du Pétrole (IFP Énergies nouvelles) est chargé de trois missions d’intérêt général, à savoir une mission de recherche et de développement dans les domaines de la prospection pétrolière et gazière, des technologies de raffinage et de la pétrochimie, une mission de formation d’ingénieurs et de techniciens et une mission d’information et de documentation des secteurs.

L’IFP est bien entendu un opérateur économique proposant des biens et services sur le marché et relevant donc ipso facto du droit de la concurrence (existence d’une activité économique). Jusqu’en 2006, il était une personne morale de droit privé placée sous le contrôle économique et financier du gouvernement français. En 2006 (loi no 2005-781, du 13 juillet 2005, de programme fixant les orientations de la politique énergétique), l’IFP a été transformé en une personne morale de droit public, à savoir un EPIC.

Ce changement de statut voulu par l’Etat visait à rendre cohérent la nature et le mode de fonctionnement de l’IFP avec son mode de financement (dotation budgétaire pour l’essentiel) et ainsi de faire disparaître le décalage existant entre le statut privé de l’IFP et son mode de financement public.

Or, les Etablissements Publics Industriels et Commerciaux bénéficient de par leur statut d’une garantie illimitée de l’Etat qui résulte de leur non soumission au du droit commun des procédures d’insolvabilité (mise en redressement et liquidation) en vertu du principe général d’insaisissabilité des biens publics. Faut-il déduire pour autant de cette spécificité qui aboutit à ce que les EPIC ne puissent être mis en redressement judiciaire ou en liquidation, qu’ils bénéficient d’un avantage « per se » ?

II Jurisprudence antérieure.

La jurisprudence portant sur le critère de transmission d’un avantage n’est pas nouvelle. Dans un arrêt « France c/ Commission du 3 avril 2014 (aff C 559/12P), La Cour avait déjà eu à connaître du statut des EPIC.

Cette affaire concernait la Poste elle-même soumise au statut d’EPIC jusqu’au 1er mars 2010 avant de devenir une SA.

La Cour avait alors considéré que la garantie de solvabilité de la Poste conférée par son statut d’EPIC lui avait conféré un avantage certain et logique dans ses relations avec les banques. Son statut permettait à la Poste d’obtenir un prêt à des conditions financières plus avantageuses (taux d’intérêt plus bas, niveau de sûretés moins élevé. Le lien entre le taux d’intérêt du prêt et les garanties de solvabilité apportées par le prêteur étaient évident et il suffisait alors à la Commission, selon la Cour, d’établir l’existence de cette garantie, sans devoir démontrer les effets réels.

Le lien entre la garantie illimitée de l’Etat et le recours à des prêts bancaires est flagrant, la démonstration de l’existence de la garantie implicite de l’Etat suffit à caractériser la transmission d’un avantage.

III Position du Tribunal sur l’affaire IFP Énergie nouvelles c/ Commission (aff jtes T-479/11 et T-157/12) du 26 mai 2016.

Dans sa décision 2012/26/UE du 29 juin 2011, la Commission européenne va considérer que ce changement de statut a conféré à l’IFP une garantie implicite illimité de l’Etat (et donc un avantage par rapport à ses concurrents) sur l’ensemble de ses activités de marché (recherche contractuelle, transferts technologiques) et donc une aide d’Etat jugée compatible au final.

L’arrêt France et IFP Énergies nouvelles c/Commission dans les affaires jointes T-479/11 et T-157/12.

Le Tribunal va d’abord se pencher sur les relations de l’IFP avec ses fournisseurs et ses clients et ensuite, conclure sur l’application de la jurisprudence « La Poste ».

Préalable

 « (..) une garantie est un engagement accessoire qui ne saurait être examiné en faisant abstraction de l’obligation sur laquelle il se greffe. De par cette nature, l’engagement de l’État prenant la forme d’une garantie ne peut être considéré comme une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE en soi, mais seulement en association avec l’obligation qui le soutient. Il en découle que, comme la Commission l’a reconnu elle-même lors de l’audience, une garantie implicite et illimitée de l’État inhérente au statut d’EPIC ne saurait être qualifiée d’aide d’État du seul fait de sa gratuité » pt 84 de l’arrêt.

Avec ce constat, le Tribunal écarte la thèse de l’aide « per se » qui découlerait de la garantie illimitée gratuite de l’Etat. Il existe simplement une présomption simple qui doit être couplée avec l’obligation sur laquelle porte la garantie (pour la Poste, la question des prêts bancaires). En l’occurrence, la garantie est inhérente au statut et couvre l’ensemble des obligations de l’entreprise.

A/ Relations avec les fournisseurs

Concernant les banques et conformément à la JP La Poste, l’existence d’un avantage bénéficie d’une présomption forte mais : « En opposition à ce qu’elle a constaté concernant les relations entre l’IFPEN et les institutions bancaires et financières, en ce qui concerne les relations entre l’IFPEN et ses fournisseurs et clients, la Commission a conclu que la garantie en cause a fait naître au profit de l’IFPEN un « avantage économique réel ». Cette conclusion ne résiste pas à l’examen. En effet, comme cela sera démontré ci-après, elle est fondée sur un raisonnement purement hypothétique qui, de surcroît, manque de clarté et de cohérence, au point que la décision attaquée est, partiellement, entachée d’un défaut de motivation » pt 94 de l’arrêt.

Dans le cadre desdites relations bancaires, la Commission constate que tous les prêts consentis à l’IFPEN l’ont été au taux du marché et donc sans avantage particulier.

Hors relations bancaires, les arguments de la Commission sont lacunaires. Entre autres, la Commission :

-La décision ne contient aucun élément démontrant l’existence, d’un phénomène de baisse de prix consentie, par leurs fournisseurs, aux établissements qui jouissent d’une garantie [de l]’État contre le risque d’insolvabilité.

-La décision attaquée ne prouve pas la perception de l’IFPEN par ses fournisseurs aurait pu être influencée de quelque manière que ce soit par la transformation de cet établissement en EPIC ou si ses fournisseurs ont appliqué un traitement plus favorable à l’IFPEN après sa transformation en EPIC.

B/ Relations avec les clients

La Commission constate (entre autres) que l’IFPEN ne paie pas de prime correspondant à une garantie de bonne fin. Le Tribunal lui objecte que les clients des instituts de recherche anticipent le risque d’insolvabilité de leur cocontractant en recourant à une garantie de bonne fin ou à une garantie de meilleur effort et donc que les concurrents de l’IFPEN paient cette prime..

C/ Application de la jurisprudence La Poste (hors prêts bancaires).

« Il s’ensuit que la présomption établie dans l’arrêt du 3 avril 2014, La Poste, repose sur la double prémisse, dont la plausibilité est admise par la Cour, selon laquelle, d’une part, l’existence d’une garantie des autorités publiques d’un État membre a une influence favorable sur l’appréciation par les créanciers du risque de défaut du bénéficiaire de cette garantie et, d’autre part, cette influence favorable se traduit par la diminution du coût du crédit » (point 137 de l’arrêt).

Comme nous l’avons évoqué, les liens sont loin d’être aussi tangibles pour les autres hypothèses d’avantages fournis par l’existence de cette garantie :

« Dès lors, en l’absence d’explication supplémentaire de la Commission à cet égard dans la décision attaquée, le Tribunal ne peut que constater que l’absence de plausibilité de cette hypothèse s’oppose à ce qu’il puisse être considéré que la garantie en cause est susceptible d’accorder à l’IFPN un avantage économique prenant la forme d’une baisse des prix consentis par les fournisseurs de l’IFPN à ce dernier ou que la démonstration de l’existence de cette garantie suffirait à la Commission pour démontrer l’existence d’un tel avantage.

Par ailleurs, s’agissant de la relation entre l’IFPEN et les clients, il convient de relever que, la Commission n’ayant même pas défini dans la décision attaquée l’avantage qui découlerait pour l’IFPEN de l’existence de la garantie, la présomption dont elle entend se prévaloir est à cet égard dépourvue d’objet » (points 140 et 141 de l’arrêt).

Conclusion : si la JP La poste pose bien une présomption (« plausibilité ») de transmission d’un avantage aux EPIC (garantie de l’Etat) dans le contexte par exemple de relations bancaires portant sur des prêts, cette présomption redevient une présomption simple dans le cadre des autres avantages que pourrait conférer la garantie à l’EPIC dans ses relations avec ses clients et ses fournisseurs. La charge de la preuve de cette « plausibilité » incombe à la Commission qui ne l’a pas apportée en l’espèce.

lien vers l’arrêt : http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=AABAB88DCCD34742ECC1F5A639EA01E2?text=&docid=178785&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=7774898

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