Commentaires de décisions et arrêtsCritère de l’opérateur privé et opérations de réassurance déclinaison du pari passu : l’arrêt SACE du 25 juin 2015.

21 août 2018

Par François GAGNAIRE, consultant Aides d’Etat Conseil

Contexte : En 1997, la Commission avait édicté des lignes directrices concernant l’application des articles 107 et 108 à l’assurance crédit à l’exportation à court terme (au JOCE n° C-281/97). Il en ressortait principalement que les Etats devaient modifier leurs régimes d’aides en matière de risques cessibles (pour une définition, voir le point 2.5 de la communication) afin que les organismes d’assurance crédit à l’exportation publics ou privés ne puissent plus bénéficier d’aides d’Etat couvrant des emprunts ou des pertes d’apport en capital à des conditions inacceptables pour un investisseur privé. La communication visait à mettre fin aux aides (sous forme de garanties) à la couverture des risques prévisibles liés à l’aléa économique intrinsèque de toute entreprise à l’exportation.

Les faits : SACE avant sa transformation en SA en 2004 était un organisme de droit public italien contrôlé par l’Etat. En 2004 après sa transformation, elle demeure propriété de l’Etat avant d’être acquise en 2012 par un autre organisme public contrôlé à hauteur de 70% par le ministère des finances. En 98, afin de se conformer à la communication de la Commission SACE met fin à son activité d’assurance sur les risques cessibles qui ne sont désormais plus garantis par l’Etat.

En 2004 toujours, les missions de SACE sont redéfinies pour tenir compte de l’évolution du marché et l’entreprise retrouve la possibilité d’intervenir sur les risques cessibles moyennant la création d’une filiale dédiée dans laquelle SACE doit détenir au moins 30% du capital. SACE crée SACE BT.

La Commission est saisie d’une plainte concernant quatre aides supposées de SACE à SACE BT dont l’apport en capital initial (100M€) auquel s’ajoute 5,8M de fonds de réserve, une couverture de réassurance en excédent de sinistres pour les risques cessibles enregistrés en 2009 ainsi que deux autres apports de capital de respectivement 29 et 41M et ce, toujours en 2009.

La Commission va, par sa décision du 20 mars 20123, considérer que ces mesures, à l’exception de l’apport en capital initial et du fonds de réserve, constituent des aides d’Etat illégales et incompatibles que SACE (les autorités italiennes) est tenue de récupérer auprès de SACE BT.

L’arrêt :

Dans son arrêt du 25/06/2015 (AFF T-305/13), le Tribunal se penche tout d’abord sur l’origine des différentes mesures engagées par SACE en faveur de SACE BT. Le Tribunal confirme l’analyse de la Commission et l’imputabilité de ces mesures (et donc leur origine étatique) à l’Etat italien.

C’est dans la manière d’utiliser le critère de l’opérateur privé (versus réassureur privé en économie de marché) que réside l’intérêt de cet arrêt.

La couverture de réassurance des excédents de sinistre (ou « réassurance XoL » de la mesure 2) est un type de contrat dans lequel la réassurance intervient jusqu’à un certain seuil quand un sinistre particulier ou un groupe de sinistres dépasse un niveau prédéfini (entre 5 et 40M€). Cette réassurance complémentaire avait été, jusqu’en 2009, souscrite auprès d’assureurs privés. En 2009, l’appel de SACE BT auprès de 21 assureurs du marché aboutit à la souscription par cinq d’entre eux de 25,85% de la couverture totale des risques encourus. C’est SACE qui va souscrire aux mêmes conditions que les assureurs privés le solde de 74,15% de la couverture.

La Commission reproche principalement à cette intervention de SACE auprès de sa filiale le fait que :  cette couverture de 74,15% n’aurait pas été obtenue auprès des opérateurs du marché (ce qui est évident au regard de la répartition des risques), que les risques couverts s’étaient d’ailleurs bien concrétisés en 2008, que les réassureurs pouvaient investir dans des domaines plus rentables eu égard à la crise et à ses effets sur les entreprises, qu’un réassureur privé n’aurait pas accepté de couvrir une telle part de réassurance (74,15%) sans exiger des conditions plus favorables que celles accordées aux réassureurs minoritaires.

Le Tribunal va valider la décision de la Commission sur ce point et mettre en avant certains arguments dont nous n’avons retenu que les plus probants :

« En premier lieu, parmi ces indices, la Commission a en particulier insisté sur le fait que, malgré ses nombreuses tentatives, Sace BT n’est pas parvenue à obtenir auprès des réassureurs privés une couverture de réassurance au-delà de 25,85 % (..). Les requérantes allèguent à cet égard que le refus des réassureurs privés d’assumer, en 2009, contrairement aux années précédentes, une couverture de réassurance au-delà de 25,85 %, s’explique par la réduction cyclique de leur activité, pour faire face à la situation de crise économique et financière, et non par les risques liés au portefeuille de Sace BT (..).

En admettant que la situation de crise ait constitué l’un des facteurs de ce refus des réassureurs privés de participer au traité de réassurance de Sace BT au-delà de 25,85 % (..), il y a lieu de relever que la crise affectait les conditions du marché et augmentait le risque de sinistres pour l’ensemble des opérateurs concernés, y compris SACE, malgré la solidité de son patrimoine et l’évolution positive de son activité, invoquées par les requérantes. Or, le contexte de crise et la réduction alléguée de l’offre de réassurance, ne pouvaient qu’inciter un opérateur rationnel à évaluer avec la plus grande attention les risques assumés et la rentabilité de l’opération en cause (..).

Or, les requérantes n’avancent aucun élément permettant de supposer que l’appréciation par les réassureurs privés de la rentabilité d’une participation plus élevée au traité de réassurance de Sace BT, au regard de l’importance des risques assumés, n’a pas joué un rôle essentiel dans ce refus (…)

En effet, il ressort explicitement du procès-verbal du 1er avril 2009, actant l’approbation de la participation de SACE au traité de réassurance de Sace BT pour la part non acceptée par les réassureurs privés et sous les mêmes conditions que celles consenties par ces derniers, que cette participation a été décidée, « eu égard à la conjoncture défavorable [d’alors] », pour permettre à Sace BT de maintenir sa capacité d’assurance, en particulier dans le segment des petites et moyennes entreprises. En outre, ni le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de SACE du 26 mai 2009 (..) ni les documents soumis audit conseil d’administration, lors de cette réunion, ne renferment d’éléments relatifs notamment au nombre de sinistres enregistrés par Sace BT depuis le début de l’année 2009 (..), permettant de supposer que la rentabilité pour SACE de la couverture de réassurance litigieuse a été prise en considération avant la souscription de ce contrat en faveur de Sace BT le 5 juin 2009.

En troisième lieu, pour démontrer l’inadéquation du montant de la commission versée par Sace BT au niveau de risques assumés par SACE, la Commission soutient, au considérant 128 de la décision attaquée, que les pertes importantes, de l’ordre de 29,5 millions d’euros, subies par Sace BT en 2008 induisaient des risques majeurs en matière de réassurance.  

(..) L’un des réassureurs aurait ainsi expliqué son refus de participer au traité de réassurance en excès de sinistre de 2009 notamment par le taux élevé de pertes les deux dernières années et par le prix du programme. En outre, lors de l’audience, la Commission a explicité, sans être contredite par les requérantes et par la République italienne, le lien entre, d’une part, l’exposition des réassureurs aux risques et, d’autre part, les difficultés financières subies par Sace BT en 2008 en raison de l’augmentation des sinistres à la suite de la crise ». (Voir les points 125 à 134 de l’arrêt).

Le Tribunal confirme donc la décision de la Commission sur ce point en considérant que la réassurance XoL n’aurait pas été souscrite à ces conditions par des réassureurs privés et donc que le financement de 74,15% de la réassurance de SACE BT est bien constitutif d’une aide d’Etat.

Le parallèle avec la logique au fondement du principe du pari passu est assez simple à comprendre. Dans le cadre de l’application de ce principe, les investisseurs publics et privés se doivent d’intervenir concomitamment dans une entreprise et ce, aux mêmes conditions de risque et de rémunération, afin que l’existence d’une aide d’Etat soit écartée. La participation des investisseurs privés doit en outre être sensible (environ 30%).

Dans le contexte de cette affaire qui traite également de la question du risque d’entreprise et du financement de l’aléa sinistre, la participation des investisseurs privés (réassureurs) est faible et la prise de risque de l’investisseur public (SACE) très forte et manifestement déconnectée de tout calcul de rentabilité. Le Tribunal et la Commission considèrent à juste titre que le risque pris par SACE aurait dû être mesuré et aurait dû donner lieu à une rémunération supérieure de Sace afin de pallier la réalité de sa prise de risque par rapport à celle prise par les réassureurs privés.

Ajoutons que les résultats finaux (positifs) de cette prise de risques n’ont pas à être pris en compte car ils n’étaient pas connus au moment où la Commission a pris sa décision et qu’il ne saurait servir de justification de la pertinence de l’opération a posteriori. On peut déduire de cet arrêt que l’application du principe du pari passu pourrait se satisfaire d’une rémunération supérieure des risques pris par l’investisseur public dans l’hypothèse où l’intervention des investisseurs privés serait mineure et leur prise de risque moindre comparée à celle exposée par l’investisseur public. Il en découle également que la participation minimale des investisseurs privés à hauteur de 30% peut connaître des ajustements.

Une partie de la décision sera cependant annulée pour ce qui est de l’évaluation de l’équivalent subvention de 10% retenu par la Commission et non démontré. Concernant les deux apports en capital effectués en 2009, le Tribunal confirme qu’il s’agit bien d’aides d’Etat car SACE n’a pas produit de documents prouvant la pertinence économique et la rentabilité desdits apports.

Voir également la décision FagorBrandt du 15 mars 2016 relatif à l’application du principe du pari passu dans le contexte d’une entreprise en difficulté.

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