Commentaires de décisions et arrêtsApplication contestable du critère du vendeur privé dans le cadre des appels d’offres : la décision Vodafone/Islande du 16 mars 2016.

11 novembre 2017

Par François GAGNAIRE, Consultant Aides d’Etat Conseil

Dans cette décision du 16 mars 2016 (décision n° 61/16 au JOUE n° L218/2017), la Commission (l’autorité de surveillance dans le contexte de l’espace économique européen) se penche, suite à la plainte de l’opérateur historique islandais en situation de monopole, sur le contrat de location au groupe Vodafone d’un câble à fibres optiques mis à disposition de l’Etat islandais par l’OTAN.

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Le Gouvernement islandais a récupère trois des huit câbles à fibres optiques entourant l’Islande. En contrepartie de cette reprise en main, l’Etat islandais s’engage à maintenir les câbles appartenant à l’OTAN en usage. L’Islande décide de louer deux de ces câbles (contrat de bail de 10 ans) et lance un appel d’offres (AO) ouvert et transparent à cette fin. Quatre candidats postulent et deux sont retenus. L’un des deux se désiste. Le preneur du bail (Vodafone Islande) devra (selon le contrat de bail) lui-même mettre en place les installations nécessaires à l’utilisation de ses fibres comme par exemple la création de nouveaux points de terminaison et entretenir le câble. L’OTAN en tant que propriétaire restera en charge des plus gros travaux.

Les réponses des candidats à l’AO était évalué sur le fondement de six critères d’adjudication affublés chacun d’un certain nombre de points avec au final une note sur 100. Les deux entreprises ayant la plus forte note remportaient les deux câbles à disposition. L’évaluation des offres a été réalisée par un Cabinet d’experts indépendants. Le contrat de bail a cette particularité entre autres, que pour respecter ses engagements internationaux, le bailleur (le ministère de la défense Islandais) reprendra son câble sans préavis en cas de conflit armé et ce, afin que l’OTAN puisse l’utiliser.

L’opérateur historique Mila se plaint à la Commission et considère que les loyers obtenus suite à l’AO sont très sensiblement inférieurs à ceux qu’auraient pu juger acceptables un vendeur privé auquel il faut assimiler un bailleur privé. A l’appui de sa plainte, Mila apporte plusieurs éléments et notamment une comparaison avec une location récente du même type. Cette plainte dans le contexte d’un AO ouvert et transparent est « originale » dans la mesure où lorsque qu’un bien est cédé via cette procédure de l’AO, la vente ou la location (usufruit) sont présumées exemptes d’aides. L’opération est sensée s’être réalisée au prix du marché sans avantage pour le preneur (voir par exemple le point 97 de l’arrêt CJUE du 24 octobre 2013 « Land de Burgenland » AFF jointes C-214,215 et 223/12P).

La Commission va rendre une première décision le 21 novembre 2012 à l’aune de cette présomption et considérer que le bail ne comprend pas d’aide. La Cour AELE va annuler cette décision le 27 janvier 2014 en considérant : que le plaignant a apporté des preuves dont la Commission aurait dû se saisir ; que les critères d’adjudication reflétaient des préoccupations relevant de la puissance publique et que la Commission n’a pas tenu compte du fait que l’OTAN pouvait exercer son droit de reprise.

La Commission est donc tenue de prendre une autre décision. Après avoir vérifié qu’était en cause l’utilisation de ressources d’Etat, la Commission se penche sur la question de l’avantage conféré et s’interroge à cette fin sur la procédure d’appel d’offres et sur les critères d’adjudication du marché. Elle en retire que :

La vente ou la location d’actifs peut constituer une aide d’État, même si elle est effectuée par la voie d’une procédure concurrentielle. Cela peut se produire en particulier lorsque les obligations imposées à l’acheteur donnent lieu à un prix inférieur. Les obligations qui ont un tel effet sont celles qui sont imposées afin de poursuivre des objectifs de politique publique et qui réduisent le bénéfice attendu par l’acheteur. Ces obligations ne seraient normalement pas imposées par un opérateur privé parce qu’elles réduisent le montant maximal des recettes qui peuvent être tirées de la vente ou de la location de l’actif.

(..) L’Autorité doit examiner si la procédure d’appel d’offres et les critères d’adjudication étaient adéquats et bien adaptés pour établir un prix de marché. À cet effet, l’Autorité doit vérifier si l’État, lors de la préparation de l’appel d’offres et de la définition des critères d’adjudication, a agi comme un opérateur privé, ou si des considérations de politique publique ou à caractère réglementaire l’ont emporté » (point 79 et 80 de la décision).

Le point 79 de la décision (caractères gras) est novateur et porteur de complexification. En effet, la vente ou la location d’un bien effectuée par voie d’AO ouvert ne bénéficierait plus que d’une présomption simple d’absence d’aide (d’absence de transfère d’un avantage) qui pourrait être renversée si ledit AO contenait des obligations relevant d’objectifs de politique publique. Ces obligations ne seraient par définition pas imposées par un vendeur (ou un bailleur) privé et elles aboutiraient à une vente à un prix inférieur. Ce raisonnement n’est pas exempt de contradictions dans la mesure où il apparaît normal que les « servitudes » grevant un bien en diminue d’autant le prix et ce, que la vente soit le fait d’un vendeur privé ou d’un vendeur public…

Poursuivant ce raisonnement critiquable, la Commission constate que le critère d’adjudication prix est minoritaire par rapport aux autres critères relevant de considérations publiques. Elle en conclue que : « Toutefois, en l’espèce, les circonstances particulières invoquées par les autorités islandaises ne sont pas suffisantes pour prouver qu’un vendeur privé dans la même situation aurait conçu l’appel d’offres d’une manière similaire. Dans l’affaire E-1/13, la Cour AELE a estimé que les critères d’adjudication autres que le prix semblaient refléter des considérations de politique publique ou à caractère réglementaire qu’un investisseur privé n’aurait pas jugé devoir prendre en considération. L’Autorité estime également que, dans l’appel d’offres, les critères autres que le prix reflètent en partie des considérations de politique publique ou à caractère réglementaire, telles que l’encouragement de la concurrence, l’amélioration de l’accès public au haut débit et la cohésion régionale, qu’un investisseur privé n’aurait pas jugé devoir prendre en considération. Ces critères d’adjudication l’emportent sur les critères liés au prix.

L’Autorité conclut donc que les critères d’adjudication de l’appel d’offres ne répondent pas aux exigences du principe du vendeur en économie de marché. En conséquence, le résultat de l’appel d’offres ne saurait fournir une indication fiable pour établir le prix de marché du droit de location en question » (points 86 et 87 de la décision).

La Commission ne va pas aller au bout de la logique du critère du vendeur privé dans le contexte d’un AO ouvert et transparent et considérer avec une nuance également contestable que : « l’absence de procédure d’appel d’offres suffisante n’exclut pas la possibilité que l’Autorité applique le principe du vendeur en économie de marché. L’Autorité doit cependant examiner la substance de l’opération en cause, et en particulier comparer le prix convenu avec le prix du marché (..) » (point 88 de la décision).

La Commission va procéder à cet examen dans la suite de sa décision et ce, sur le fondement d’indicateurs et de comparaisons qu’elle reconnaît elle-même ne pas être pleinement satisfaisants. Au final, la Commission va considérer que le prix du bail ne confère pas d’avantage au preneur Vodafone.

Quoiqu’il en soit, cette décision met en lumière selon nous les limites du critère du vendeur privé (et de toutes les autres déclinaisons du critère de l’opérateur privé).

L’utilisation du critère du vendeur privé dans des hypothèses où un AO et ouvert et transparent garantit un prix de marché quelques soient par ailleurs les contraintes d’ordre public prise en compte dans les critères d’adjudication devrait se suffire à elle-même et écarter la possible transmission d’un avantage.

Le refus de cette logique conduit la Commission à rechercher un prix de marché alambiqué et peu convaincant. Lorsque des biens sont mis en vente en l’état avec leurs défauts potentiels dans le cadre d’enchères publiques, le prix final ne saurait être comparé au prix d’un autre produit identique vendu par le biais d’une autre méthode dans un autre contexte. Si le prix final est bas au titre de cette comparaison, l’acheteur a simplement fait une bonne affaire qui était accessible à tous et que personne ne peut sérieusement remettre en cause. La procédure d’AO ouvert et transparent, même comprenant des critères d’adjudication laissant transparaître des finalités étrangères à celle d’un investisseur privé, relève de la même logique, la possibilité qu’un prix inférieur à celui du marché en découle pour l’adjudicataire est inhérente à sa nature et pas aux intentions de l’Etat adjudicateur.

Voici le lien vers la décision

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