Articles juridiquesLe règlement européen relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur (5/05/2021).

26 septembre 2022
Par F. GAGNAIRE, docteur en droit public, Directeur du Cabinet Aides d’Etat Conseil.

En résumé

Le nouveau règlement européen relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur témoigne d’un durcissement de l’Union à l’encontre de ses partenaires économiques.  Le règlement se propose en effet de contrôler les subventions étrangères (au sens large) susceptibles d’affecter la concurrence au sein du marché unique.

Parvenir à cette finalité implique avant tout un renforcement du droit des aides d’Etat désormais doté d’un caractère extraterritorial partiel. Il ne faut en effet pas se leurrer sur la portée de ce règlement. Même si les fusions d’entreprises et les marchés publics sont mis en avant via des chapitres spécifiques, ce sont avant tout les aides d’Etat étrangères et leur impact négatif en général et en particulier qui sont visées.

Bien entendu, la rigueur de la règle est tempérée par le fait que les investissements étrangers directs sont une source de croissance pour l’Union. Ainsi, les aides d’un montant inférieur à 5 millions d’euros (contre 200K€ pour les aides européennes) seront considérées comme compatibles (règle de minimis). Il n’en demeure pas moins que ces aides devraient, en cas de cumul avec des aides européennes être comptabilisées. De quelle manière ? Les futures lignes directrices et règlements d’exemption devraient le préciser.

Par François GAGNAIRE, Consultant Aides d’Etat Conseil

I Contexte : Ce règlement (en voie de finalisation) vise à compléter les règles de concurrence au sein du marché unique en protégeant ce dernier et ses opérateurs, contre les subventions accordées à des entreprises étrangères par des gouvernements étrangers.

Cette protection, pour être activée, nécessite que les entreprises étrangères en cause réalisent des opérations économiques (entendues au sens large) en Europe.

Disons-le d’emblée, les investissements étrangers en Europe sont générateurs d’emplois et de richesses. Il ne s’agit donc pas de les interdire (voir le règlement n°2019/452 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union) mais d’en contrer, dans certaines hypothèses, les effets prédateurs.

Ce règlement s’inscrit dans un changement (salutaire) de doctrine de l’UE exposé dans une communication de la Commission intitulée « Une nouvelle stratégie industrielle pour l’Europe » et mise à jour en 2021.

Ce changement doctrinal était en germe depuis très longtemps. Au milieu des années 80, Edith Cresson alors en charge du Ministère du Redéploiement industriel et du Commerce extérieur critiquait déjà vertement la politique de concurrence mise en œuvre par la Commission européenne en lui reprochant d’être uniquement axée sur le bien-être du consommateur au détriment de l’appareil industriel européen. Dernier avatar de cette politique, le rejet en 2019 de la fusion Alstom-Siemens qui laisse deux entités de taille mondiale moyenne face à des géants américains et chinois a minima cinq fois plus gros et ce, afin de ne pas faire encourir aux consommateurs les risques supposés d’abus de la part d’une entreprise en situation de position dominante en Europe.

Nombre d’Etat européens ont d’ores et déjà, de leur propre initiative, mis en place des dispositifs de sauvegarde. Ainsi des autorisations préalables du Ministère de l’économie dans le cadre de rachat d’entreprises « stratégiques » (Allemagne, France, Italie…), de l’imposition des GAFAM (France, tentative avortée au niveau européen lors de la récente présidence française) etc.

Ce revirement doctrinal européen (hors pression de plus en plus forte des Etats membres et de leurs opinions publiques) part d’un constat simple : l’Union européenne est la zone économique la plus ouverte au monde. De fait, ce qu’il est possible de faire sur le marché européen (rachats, fusions, aides d’Etat, participations aux marchés publics) pour des agents économiques étrangers ne l’est en général pas pour les acteurs économiques européens dans ces mêmes pays tiers (voir « l’application » du principe de réciprocité en Chine ou aux Etats unis notamment).

Après avoir pêché par dogmatisme et naïveté durant des décennies, l’UE semble, comme en témoigne ce nouveau règlement, vouloir désormais imposer à ses partenaires des conditions identiques à celles qui pèsent déjà sur ses propres opérateurs économiques.

Si les subventions étrangères mentionnées par le règlement visent ad hominem la question des marchés publics et des fusions d’entreprises, elles concernent également de manière plus large toutes les subventions susceptibles d’affecter les échanges et la concurrence sur le marché européen.

Ces subventions étrangères présentent toutes les caractéristiques de l’aide d’Etat en droit de la concurrence. L’articulation des règles de concurrence demeure, lorsqu’une aide d’Etat est au fondement d’une pratique anticoncurrentielle, ce sont les règles régissant cette dernière qui s’appliquent (lex specialis/ lex generalis).

A ce jour, la législation aides d’Etat concerne les transferts économiques (avantages concédés) des Etats membres au profit des entreprises qui investissent sur leur territoire (même des entreprises étrangères dont l’implantation peut être subventionnée).

Manquait dans ce dispositif la possibilité de contrôler en amont les subventions reçues par les entreprises étrangères de la part de leurs gouvernement respectifs. Cette touche d’extraterritorialité du droit européen de la concurrence peut s’illustrer de la façon suivante.

Une entreprise étrangère décide de s’installer en Europe dont elle est absente. Au titre des aides à l’export, elle peut parfaitement demander une subvention (hors radars de la Commission européenne) à son pays d’origine et, une fois le projet finalisé, demander une aide à l’implantation au pays d’accueil.

En termes de cumul d’aides au niveau européen, seul sera pris en compte (jusqu’à présent), le montant octroyé par le pays d’accueil européen qui sera évalué à l’aune des régimes juridiques aides d’Etat. Si les deux subventions étaient prises en compte, le taux d’intensité d’aide européen serait largement dépassé (et incompatible).

Au final, si le présent règlement vise avant tout à parer les lacunes de la législation européenne en matière de marchés publics et de concentrations d’entreprise financées par subventions étrangères, son effet premier est de conférer au droit des aides d’Etat un caractère extraterritorial (partiel).

Même si la base juridique retenue n’est pas (logiquement) celle de l’article 107§1 du TFUE,  sur l’incompatibilité des aides d’Etat, l’esprit de ce dernier est bien présent dans le règlement sur les investissements étrangers (considérant 5 du règlement : « En particulier, le nouvel outil complète les règles de l’Union en matière d’aides d’État, qui traitent des distorsions dans le marché intérieur causées par des subventions accordées par des États membres ».

Notons que ce n’est pas la première fois que le droit des aides d’Etat vient à la rescousse d’autres pans du droit européen. Ainsi, faute d’harmonisation fiscale européenne, la lutte contre l’optimisation fiscale des GAFAM s’appuie elle aussi sur cette béquille aides d’Etat.

aides-investissements-etrangers

II Dispositions pratiques

Les articles 1 à 6 du règlement (chapitre I dispositions générales) fournissent une définition des subventions étrangères qui s’apparente à celle des aides d’Etat pour ce qui est de la condition d’origine étatique de l’aide, de sa sélectivité, du transfert d’un avantage, de l’ entrave aux échanges et du faussement de la concurrence (article 1 à 4).

L’originalité par rapport aux aides d’Etat réside principalement dans l’article 5 sur la « Mise en balance ». Par nature, ces subventions étrangères ne peuvent se voir appliquer le règlement Général d’Exemption par Catégorie (RGEC) aides d’Etat (elles ne font pas partie de son périmètre). La Commission va donc devoir se prononcer au coup par coup en attendant la publication de lignes directrices dont l’article 4 pose les bases en précisant quelles sont les subventions les plus nocives pour le marché.

Quant à l’article 6 « Engagement et mesures réparatrices », il met en place un système de compensation très fortement inspiré des aides au sauvetage et à la restructuration de l’encadrement des aides aux entreprises en difficulté (cession d’actif, remboursement de la subvention étrangère, publication des résultats de la R§D, octroi de licences, réduction de capacités de production, renoncement à certains marchés etc.).

De plus, un plafond de minimis est fixé à hauteur de 5M€ contre 200K€ pour le de minimis droit commun : « Une subvention étrangère est peu susceptible de fausser le marché intérieur si son montant total est inférieur à 5 000 000 EUR sur une période de trois exercices consécutifs ».

Le chapitre III du règlement régit les concentrations d’entreprise et le chapitre IV, les procédures de passation des marchés publics (potentiellement bénéficiaires de subventions étrangères) .

On peut être tenté d’assimiler ces deux thématiques à des aides spécifiques au sens du RGEC (voir RGEC 2014-2023 CHAPITRE III: Dispositions spécifiques applicables aux différentes catégories d’aides).

Dans ces deux hypothèses constitutives de dérogations, le règlement s’inspire des régimes juridiques déjà existant et les adapte à la question des subventions étrangères comme il le fait de manière générique en ses articles 1 à 6 pour toutes les subventions étrangères n’incorporant pas automatiquement le périmètre des concentrations ou des marchés publics.

Ces deux volets du droit de la concurrence sont traités (en attendant d’être complétés par des lignes directrices) sous deux angles :

1/ Mise en place de procédures d’autorisation préalable pour s’assurer des conditions de concurrence équitable pour les concentrations les plus importantes et les offres dans le cadre de marchés publics de grande envergure

2/ Imposition de seuils de notification (500 millions d’euros pour les concentrations, 250 millions d’euros pour les procédures de passation de marchés publics).

La Commission aura le droit d’enquêter sur des subventions octroyées jusqu’à cinq ans avant l’entrée en vigueur du règlement et générant des distorsions sur le marché intérieur après son entrée en vigueur.

Au final devraient s’ajouter ultérieurement au régime instauré par le futur règlement des lignes directrices et des exemptions. En effet, les seuils de notification propres aux aides d’Etat en général (5M€) et aux thématiques spécifiques devraient à terme faire l’objet de compléments (dans certains secteurs ou pour certaines finalité/ exemptions horizontales et verticales).

Pour ce qui est des aides d’Etat ne relevant pas des thématiques marché publics et concentrations et pour ces deux dernières lorsque les montants seront plus faibles, la Commission disposera d’un pouvoir d’enquête classique.

III Conclusion

Nonobstant le fait qu’il faudra plusieurs années afin de tirer des enseignements de ce futur règlement, il manifeste clairement la volonté forte de l’Union de protéger son marché à l’instar de ce que n’ont jamais cessé de faire ses principaux partenaires économiques, à savoir la Chine et les Etats-Unis. Notons par exemple que le nouveau colossal plan de relance américain du Président Biden prévoit des subventions à l’achat de véhicules électriques par les américains, à condition que ces véhicules soient d’origine américaine… Cet exemple montre s’il en était besoin que l’arsenal juridique de l’Union pour se protéger des pratiques anticoncurrentielles de ses partenaires est loin d’avoir épuisé ses possibilités.

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