Commentaires de décisions et arrêtsRejet des théories de l’accessoire et du purement local : Arrêt du Tribunal du 30 avril 2019 : « UPF c/commission », Aff T 747/17

1 novembre 2019

Par François GAGNAIRE, consultant Aides d’Etat Conseil

Les faits : En 2013, La Commission décide de s’intéresser au fonctionnement et à la fiscalité de l’ensemble des ports européens afin de clarifier leur situation au regard du droit des aides d’Etat. Suite à de nombreux échanges, elle informe la France que l’exonération d’impôt sur les sociétés (« IS ») en faveur des ports français constitue une aide d’État incompatible. Elle en propose donc la suppression à concurrence des revenus générés par leurs activités économiques et ce, à compter du début de l’année 2017.

La France refuse et la Commission rend sa décision n° 2017/2116 du 27 juillet 2017 dans laquelle elle juge que cette exonération constitue une aide d’Etat incompatible.

Points de droit :

Dans son recours devant le TA, la France va mettre en avant plusieurs moyens reposant essentiellement sur le caractère non économique de certaines activités portuaires et la revendication du bénéfice de la théorie dite de l’accessoire pour les activités économiques secondaires.

La théorie du purement local est également mise en avant par la France.

Avant d’examiner plus avant ces moyens, il nous faut effectuer un rappel de ce qu’est la théorie de l’accessoire inaugurée par la jurisprudence de la CJCE du 11 juillet 2006, FENIN aff, C-205/03P.

La FENIN qui regroupe la majorité des entreprises commercialisant des produits sanitaires utilisés en milieu hospitalier en Espagne se plaint d’un abus de position dominante collective de la part des entités publiques chargées de la gestion du système de santé espagnol. La FENIN leur reproche des délais de paiement excessifs. Elle considère donc de facto ces entités comme des entreprises puisqu’elle leur oppose le droit de la concurrence qui n’a vocation à s’appliquer qu’aux entreprises. Le Tribunal va rejeter cette thèse et la CJCE va confirmer ce rejet en considérant que :

Dans le cadre du système de santé espagnol comme dans le cadre du système français, les organismes de santé ne peuvent être considérés comme des entreprises, ni dans leur activité de gestion des soins, ni dans leur activité d’achat y relative.

Point 26 de l’arrêt : « il n’y a pas lieu de dissocier l’activité d’achat du produit de l’utilisation ultérieure qui en est faite aux fins d’apprécier la nature de cette activité ». En d’autres termes : une activité d’achat (ou de vente) d’un produit n’est pas économique si l’utilisation ultérieure du produit n’a pas de nature économique. Le produit ici acheté (matériel médical) est l’accessoire indispensable d’un service de la santé sans nature économique. L’activité accessoire ne doit pas dépasser 20% du chiffre d’affaires de la principale

L’intérêt de la théorie de l’accessoire est, à partir du lien de dépendance entre l’activité économique secondaire et l’activité non économique principale, d’exclure la première de l’application du droit de la concurrence et notamment de celui du droit des aides d’Etat.

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Le recours devant le TA (30 avril 2019 aff, T-747/17).

Par son premier moyen, la France reproche à la décision de la Commission d’avoir appréhendé l’activité portuaire dans son ensemble sans distinguer les activités économiques des activités non économiques auxquelles le droit de la concurrence ne s’applique pas.

Le Tribunal constate que, dans sa décision (pt 44), la Commission a bien évoqué les différentes activités en distinguant celles relevant de prérogatives de puissance publique (comme le contrôle, la sécurité du trafic maritime et la surveillance antipollution), et confirmé que, dans l’exercice de ces tâches, les ports n’étaient pas des entreprises au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE).

Au point 45 de cette même décision, la Commission a caractérisé les activités économiques des ports (les ports fournissent un service général aux navires en leur donnant accès à l’infrastructure portuaire en échange d’une rémunération). Certains ports fournissent des services plus spécifiques aux navires notamment le pilotage, le levage, la manutention et l’amarrage (également contre rémunération).

Au final, le Tribunal considère que la Commission a à suffisance démontré qu’elle dissociait les activités économiques insusceptibles de bénéficier d’une exonération d’IS des activités non économiques pouvant en bénéficier.

Le second moyen de la France vise à mettre en œuvre la théorie de l’accessoire en faveur des activités économiques de ports et donc et donc au maintien de leur exonération d’IS. Afin de parvenir à ce résultat, la France reproche à la Commission de ne pas avoir analysé en détail les cas où la théorie de l’accessoire pourrait s’appliquer (défaut de motivation lié à la possible mise en œuvre du principe précité).

Le Tribunal, après avoir rappelé la théorie de l’accessoire va conclure au point 84 de son arrêt que : « la requérante n’a apporté aucun élément afin de démontrer que les activités économiques exercées par les ports (..) seraient indissociables des prérogatives de puissance publique des ports, tels que le contrôle et la sécurité du trafic maritime ou la surveillance antipollution. Ainsi que l’a fait valoir la Commission lors de l’audience, le seul fait qu’il puisse y avoir un lien économique entre ces activités, en ce que les activités économiques des ports permettent de financer, en tout ou en partie, leurs activités non économiques, ne suffit pas pour constater le caractère indissociable de ces activités, au sens de la jurisprudence ».

Les activités économiques ne sont pas, en l’espèce, indissociables des activités économiques et le fait que ces activités économiques puissent contribuer au financement des activités non économiques n’y change rien…

Sur l’affectation de concurrence/ le purement local

La France relève que, pour certains ports insulaires et des ports d’outre-mer, l’exonération ne saurait entraver les échanges et fausser la concurrence (théorie des aides purement locales).

Le Tribunal relève que la Commission a reconnu cette hypothèse au point 92 de sa décision. Toutefois, étant donné qu’il s’agit d’un régime d’aides, concernant une exonération générale de l’IS, la Commission a estimé, au considérant 93 de la décision attaquée, que cette mesure était, en tant que telle, susceptible de fausser la concurrence à l’intérieur de l’Union et d’affecter les échanges entre États membres.

Au point 102 de son arrêt, le Tribunal confirme que : « s’agissant d’un régime d’aides, qui s’applique à des ports très différents quant à leur taille, leur situation géographique, leur type (port intérieur, port maritime) ou leurs activités, il n’est pas nécessaire, pour établir que la mesure examinée est une aide d’État, de démontrer individuellement que ladite mesure aboutit pour chaque port à une distorsion de la concurrence et à une affectation des échanges. Dans le cas d’un régime d’aides, la Commission peut se borner à étudier les caractéristiques du régime en cause pour apprécier, dans les motifs de la décision, si, en raison des modalités que ce régime prévoit, celui-ci assure un avantage sensible aux bénéficiaires par rapport à leurs concurrents et est de nature à profiter essentiellement à des entreprises qui participent aux échanges entre États membres. Ainsi, dans une décision qui porte sur un tel régime, la Commission n’est pas tenue d’effectuer une analyse de l’aide octroyée dans chaque cas individuel sur le fondement d’un tel régime ».

Il faut en tirer la conclusion que l’exception du purement local (absence d’entrave aux échanges) ne peut trouver à s’appliquer dans le contexte d’une aide générale à tout un secteur sans distinction préalable des bénéficiaires. Pour plus de précision sur cette exception, voir l’article sur la révolution purement locale

Lien vers l’arrêt :

http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=7BC2D12B5B7FBFDBBB403C659A4B088B?text=&docid=213575&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=8957681

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