Commentaires de décisions et arrêtsTitanic et opération unique : L’arrêt SeaFrance du 15/01/2015

29 décembre 2017

Par François GAGNAIRE, Consultant Aides d’Etat Conseil

A compter de 2008, la situation financière de la société SeaFrance propriété de l’Etat (via la SNCF) va fortement se dégrader. L’entreprise répond alors parfaitement à la définition d’une entreprise en difficulté. En juin 2010, la société est placée en redressement judiciaire et en novembre 2011 en procédure de liquidation.

En février 2009, la SNCF concluait avec SeaFrance une convention de trésorerie prolongée en février 2010 et lui octroyait un prêt afin de lui permettre d’exercer une option d’achat sur le navire Berlioz. Ensuite, la SNCF a mis en place une ligne de crédit au profit de SeaFrance (aide au sauvetage). Cette mesure a été notifiée à la Commission le 12 juillet 2010 et approuvée par cette dernière. En 2011, les autorités françaises notifient cette fois à la Commission un plan de restructuration qui devait être financé principalement par une aide d’État prenant la forme d’une augmentation de capital de 223 millions d’euros souscrite en intégralité par SNCF Participations.

En 2011, les autorités françaises communiquent un plan de restructuration modifié à la Commission afin de répondre aux doutes de cette dernière sur le caractère suffisant et certain de la contribution de SeaFrance au financement de sa propre restructuration. Ce plan prévoyait que l’augmentation de capital devait être limitée à 166,3 millions d’euros et s’accompagner d’un prêt d’un montant de 99,8 millions d’euros destiné à financer la restructuration au titre de la contribution propre de l’entreprise. Un autre prêt, devait permettre de remplacer l’emprunt existant concernant un navire de la flotte.

Le 24 octobre 2011, la Commission adopte une décision déclarant incompatibles d’une part l’augmentation de capital de SeaFrance et les deux prêts l’accompagnant et, d’autre part, l’aide au sauvetage approuvée par sa décision du 18 août 2010.

seafrance

Ce revirement de la Commission à propos de sa décision relative à l’aide au sauvetage est central et s’explique de la manière suivante. Une opération de sauvetage puis de restructuration d’une entreprise doit répondre, afin d’être considérée comme compatible, aux exigences posées par les lignes directrices de référence. Or, si l’aide au sauvetage était admissible, la Commission considère que l’aide à la restructuration ne l’est pas et que l’aide au sauvetage et la restructuration de l’entreprise étant constitutives d’une seule et même opération, l’aide au sauvetage ne le serait donc plus a posteriori du fait qu’elle n’a pas été une aide unique comme l’exige l’encadrement des aides aux entreprises en difficulté dans sa version de 2004. De plus, la crédibilité financière de l’opération laisse plus qu’à désirer.

La France considère que les deux prêts accompagnants l’augmentation de capital auraient dû faire l’objet d’un examen autonome au regard du critère de l’investisseur privé. Ces deux prêts n’auraient pas dû être considérés comme des aides d’Etat. Cette approche « dissociative » (analyse contrefactuelle de type 2) pourrait aboutir à remettre en cause le caractère unique de l’opération et son incompatibilité au regard des lignes directrices.

Dans son arrêt du 15 janvier 2015 (AFF T-1/12), le Tribunal considère d’abord qu’en ce qui concerne l’application du critère de l’opérateur privé aux deux prêts : «  Lorsqu’il s’agit de l’application du critère de l’investisseur privé à plusieurs interventions consécutives d’État, la Commission doit examiner s’il existe entre ces interventions des liens tellement étroits qu’il est impossible de les dissocier et que, dès lors, ces interventions doivent, aux fins de l’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, être regardées comme une seule intervention » (point 33 de l’arrêt).

« [p]uisque les deux prêts poursuivent la même finalité que la recapitalisation, à savoir le financement des coûts de restructuration, que la situation économique de l’entreprise est inchangée (elle est en difficulté) et que les prêts sont accordés en même temps que la recapitalisation, ces prêts ne [pouvaient] pas raisonnablement être dissociés de l’aide au sauvetage et de la recapitalisation » (point 40).

Afin d’appuyer sa démonstration sur l’unicité des différentes opérations, le Tribunal rappelle également que la Commission a bien démontré que le plan de restructuration de l’entreprise, dans sa première version, ne comprenait qu’une augmentation de capital diluée dans le second plan de restructuration dans deux prêts complémentaires compensant la diminution du montant de l’augmentation de capital initialement envisagée.

Enfin et pour en terminer sur ce point, le Tribunal constate qu’aucun investisseur privé n’a été associé ou n’a souhaité être associé à l’opération.

Par le fait, force est de constater que l’ensemble des mesures engagées en faveur de SeaFrance était constitutif d’une seule et même opération et que cette dernière n’avait aucun intérêt pour des investisseurs privés.

« la Commission a correctement appliqué le critère de l’investisseur privé à l’ensemble indissociable des mesures composé des prêts en cause, de la recapitalisation et de l’aide au sauvetage. En effet, en tenant compte de l’impact que le paiement des intérêts et le remboursement des prêts en cause avait sur la rentabilité de la recapitalisation, la Commission s’est engagée dans une analyse globale du rendement que la SNCF, en tant qu’investisseur privé unique, pouvait attendre des mesures qu’elle a mises en œuvre ou envisageait dans le cadre du sauvetage et de la restructuration de SeaFrance, appréciées comme un tout. Ainsi, elle a pu conclure, sans commettre une erreur manifeste d’appréciation, que le rendement global attendu de cet ensemble indissociable de mesures ne correspondait pas à un rendement qui serait attendu par un investisseur privé, sans devoir s’engager dans une analyse précise de la question de savoir si les conditions de l’octroi de chacun des prêts en cause étaient conformes aux conditions du marché (point 53).

Une fois les différentes mesures jugées comme étant constitutives d’une seule et même opération, le Tribunal constate que la Commission a bien vérifié si ses mesures étaient compatibles ou non avec les lignes directrices sur les aides au sauvetage et à la restructuration de 2004.

Les lignes directrices en question posent plusieurs conditions nécessaires à la compatibilité d’une aide au sauvetage et à la restructuration. En l’occurrence, c’est la contribution de l’entreprise à sa propre restructuration qui pose problème.

Le prêt de 99,8 millions accordé par la SNCF à SeaFrance afin qu’elle contribue à sa propre restructuration est considéré par la Commission et le Tribunal comme une aide d’Etat ne pouvant être assimilée à une contribution propre. D’autre part : « d’après les paragraphes 7 et 43 des lignes directrices sur l’aide à la restructuration, la contribution propre doit indiquer que les marchés croient à la faisabilité du retour de l’entreprise bénéficiaire de l’aide à la viabilité. Or, en l’espèce, en raison du fait que l’autorité qui accordait l’aide et la société mère du bénéficiaire de l’aide constituaient une seule et même personne, à savoir la SNCF, et de la simultanéité des mesures concernées, cette finalité ne pourrait être respectée, en l’absence d’une contribution réelle obtenue d’un investisseur ou d’un créancier externe à la SNCF » (point 81 de l’arrêt).

Texte de l’arrêt.

 

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