Par François GAGNAIRE, Consultant Aides d’Etat Conseil
Comme son cousin (éloigné) l’opérateur privé en économie de marché, c’est un outil, une règle créée de toutes pièces par la Commission européenne. D’origine … latine ? Le concept rayonne désormais sur l’ensemble du droit européen de la concurrence.
Il est lui aussi, à sa façon, un avatar, et un deux ex machina. Mais ce n’est pas vraiment une déclinaison du bon père de famille et, pire encore, ce de minimis utilisé sans modération peut devenir très addictif.
Avatar et deus ex machina, il l’est, car il a permis à la Commission européenne de se sortir d’un mauvais pas dans lequel elle s’était elle-même fourré. Pour autant, plus que le dharma du marché, la règle a plutôt pour vocation de rétablir le dharma juridique et administratif de la Commission. Contrairement au critère de l’opérateur privé, la règle de minimis n’est pas vraiment issue d’une construction intellectuelle aboutissant à construire un pont entre deux mondes (le droit et l’économie), mais plutôt une frontière d’application du droit européen de la concurrence autorisant la Commission à exclure de son champ d’application un certain nombre d’opérations financièrement mineures et a priori indignes de son attention.
Enfin, pour ce qui est du bon père de famille, il faudra repasser. Le de minimis est réservé au père de famille des « CSP + ». Ce dernier n’est pas trop regardant sur la menue monnaie et la considère comme un reliquat sans intérêt qui alourdit inutilement leur porte-monnaie.
Restituons l’objet dans son contexte.
Le droit européen des aides d’Etat (c’est à l’application de la règle à ce volet du droit de la concurrence que nous nous intéresserons) dispose, comme ses homologues ententes et abus de positions dominantes, que les aides d’Etat sont incompatibles (interdites) lorsqu’elles remplissent cumulativement plusieurs conditions (origine étatique, avantage sélectif, entrave aux échanges, faussement de la concurrence) : « Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ».
La règle de minimis s’inscrit clairement dans la condition d’entrave aux échanges et de faussement de la concurrence, étant entendu que si l’une ou ces deux conditions cumulatives n’est pas remplie, la mesure n’est pas une aide d’Etat et sort du champ d’application de l’article 107§1.
Jusqu’en 1992 (premier encadrement des aides aux PME), la Commission européenne cherche à étendre son magister sur l’ensemble des interventions des Etats en optant pour une appréhension toujours plus large de la notion d’Etat et de celle d’entrave aux échanges et de faussement de la concurrence.
Elle va d’abord s’ingénier à poser des présomptions propres à chacune des deux conditions sous forme de « standards juridiques ». Par exemple, aider une entreprise qui participe aux échanges intracommunautaires (qui exporte) entrave forcément les échanges. De même, et pour ce qui est du faussement de la concurrence, la Commission va parvenir à cette merveilleuse tautologie selon laquelle toute aide à une entreprise renforce nécessairement sa position sur la concurrence.
Dans un second temps, la Commission toujours soutenue par la Cour de Justice va « démontrer » que les deux conditions sont interdépendantes. A savoir que si l’une est remplie (et elle l’est toujours), l’autre l’est également systématiquement. La Commission va donc systématiser la conclusion selon laquelle toute aide est ontologiquement porteuse d’une entrave aux échanges et d’un faussement de la concurrence quitte à la pousser jusqu’à la caricature dans certaines affaires impliquant des entreprises représentant moins de 1% du marché européen.
Seulement voilà, la Commission a surestimé ses capacités de travail et, effet boomerang oblige, s’est retrouvée submergée de plaintes portant sur des affaires sans intérêt et sans aucun impact avéré ou potentiel sur les échanges et la concurrence. Pire encore, la Commission ne pouvait plus concentrer ses efforts sur les affaires essentielles pour le coup réellement porteuses de conséquences graves sur les échanges et la concurrence.
Jamais prise de court, la Commission réagit en édictant la première règle de minimis qui affirme de façon performative et à contrario de toute sa pratique règlementaire antérieure que toute aide inférieure à 200K€ sur trois ans n’est pas (plus) susceptible d’entraver les échanges et de fausser la concurrence et qu’elle ne relève donc pas de l’article 107§1. Afin de résoudre un problème, la solution la plus simple est souvent de le faire disparaître !
La règle, dans sa version originelle, n’était pas encore parfaite et produisait des effets contestables. En effet, le plafond de 200K€ d’aides de minimis ne portait pas sur l’ensemble des activités de l’entreprise mais sur chaque catégorie de dépense de cette dernière. Une entreprise pouvait ainsi revendiquer un de minimis exportation, un de minimis environnement, un de minimis formation, un de minimis R§D… Bref, de minimis faisait le maximum et plus encore mais, pour ce qui était du mini prix ….
La Commission a donc rectifié le tir pour aboutir à la formule suivante : toutes les dépenses confondues d’une entreprise n’excédant pas 200K€ sur une période de trois ans (trois exercices fiscaux comprenant l’exercice fiscal en cours et les deux précédents).
Le curseur de minimis est-il bien placé ?
Pas certain. La règle de minimis vise toutes les entreprises quelle que soit leur taille en admettant deux de minimis dérogatoires pour l’agriculture et pour les services d’intérêt économique général (SIEG). Satisfaisante pour de petites entreprises, la règle perd rapidement de son utilité pour les PME d’une certaine taille et n’en a plus aucun pour les grandes entreprises.
En effet, les Etats et les collectivités infra étatiques sont à croc au produit. Son effet addictif est directement lié à sa simplicité d’utilisation et au sentiment de sécurité (juridique) qu’il procure.
Lorsque qu’une collectivité décide de créer un régime d’aides ou qu’elle décide d’accorder une aide individuelle à une entreprise sans pour autant disposer dans son arsenal juridique d’une base juridique adéquate et légale, elle dispose de trois options.
L’option la plus simple est d’utiliser la règle de minimis (les aides accordées sur cette base doivent simplement faire l’objet de la tenue d’un registre national). Mais, du fait du seuil impératif de 200K€ souvent déjà amputé par d’autres mesures également prise sur le fondement de minimis, cette option rencontre rapidement ses limites et l’aide peut rapidement se transformer en pourboire.
La seconde option, la plus usitée, est celle du RGEC (règlement général d’exemption par catégorie). Le RGEC est un peu comme la hotte du père Noël. On y trouve toujours son bonheur. Il y en a pour tous les goûts et toutes les bourses. Ce règlement est une synthèse (mais pas seulement) de l’ensemble des aides d’Etat exemptées de notification préalable et donc a priori compatibles. Il suffit juste de rester dans les limites fixées (en valeur absolue ou en pourcentage) par le règlement et de bien indiquer les bases juridiques RGEC dudit règlement dans le visa du règlement instituant le régime d’aide ou dans la délibération portant sur une aide individuelle.
Une mesure de minimis n’étant pas une aide d’Etat, la règle de minimis n’est pas incluse dans le RGEC. A noter également que ce RGEC apporte, pour sa part, une réponse sérieuse à la volonté de la Commission de se concentrer uniquement sur les aides les plus importantes par définition les plus sensibles sur les échanges et la concurrence.
La troisième option désormais très marginale est celle dans laquelle (bien souvent pour une aide individuelle), le de minimis et le RGEC n’apportent pas de solution satisfaisante. Il faut alors chercher une justification dérogatoire à l’aide et en passer par des démonstrations souvent très complexes au résultat très aléatoire. Autant dire que face aux risques d’échec encourus et à la lourdeur juridique et administrative de la démarche, les Etats et collectivités ne s’y frottent qu’en cas de force majeure et avec beaucoup de réticence.
On peut comprendre l’engouement pour la base juridique RGEC qui été conçue à cette fin. Mais, il est plus critiquable pour les aides de minimis pour lesquelles on peut reprocher à l’Etat et aux collectivités une certaine tendance à la facilité qui n’est pas sans conséquence pour les entreprises auxquelles la Commission a finalement « refilé » un bébé atteint de la fièvre cumul d’aides.
Cumul d’aides de minimis et cumul d’aides de minimis avec des aides d’Etat : la maladie guette !
La question du cumul recouvre deux hypothèses. La première est celle du cumul d’aides de minimis avec des aides d’Etat, la seconde est celle du cumul des aides de minimis entre elles.
Pour ce qui est du cumul de minimis/ aides d’Etat, la règle de minimis se présente comme un Janus dont le côté face à une forte propension à la migraine. Côté pile, l’aide de minimis n’est pas une aide d’Etat. Côté face, l’aide de minimis doit intégrer le calcul du cumul d’aides d’Etat sur une même dépense éligible.
Lorsqu’une aide de minimis est accordée à une entreprise pour tel ou tel objectif et qu’une aide d’Etat lui est également allouée pour la même dépense, l’aide d’Etat et l’aide de minimis seront additionnées et dans tous les cas, leur cumul ne pourra excéder les limites fixées par le droit des aides d’Etat pour ce type d’investissement.
Prenons un exemple pour un projet de R§D comportant 500K€ de dépenses éligibles et pouvant bénéficier d’une aide à la R§D « base RGEC » pouvant aller jusqu’à 30% desdites dépenses éligibles. Le projet peut soit bénéficier directement d’une aide à la R§D de 150K€ « base RGEC », soit bénéficier d’une aide « base RGEC » de 100K€ qui sera complétée par une aide « base de minimis ». L’aide complémentaire de minimis ne pourra, dans cette hypothèse, excéder 50K€.
Côté cumul d’aides de minimis, c’est la constipation qui guette. Le diagnostic est simple il y a une posologie à ne pas dépasser et au-delà de laquelle s’empiffrer de de minimis ne produit plus que des effets nocifs : la dose des 200K€. Si les collectivités infra étatiques ne se privent pas d’utiliser la règle de minimis, l’Etat n’est pas non plus en reste. En 2016, ce dernier a publié une liste officielle des régimes d’aides pris sur le fondement de la règle de minimis, soit 58 régimes et environ 115 sous régimes. On y trouve de tout : des exonérations fiscales et sociales dans les zones d’aménagement du territoire (ZUS, ZRU, ZFU, ZRR, AFR, TRDP, ZRD etc…), le statut de JEI, les crédits impôts de tout genre et certaines aides thématiques comme les aides à la production cinématographique, ou encore d’autres aides à l’environnement.
Résultat, de nombreuses entreprises font du de minimis sans le savoir et dépassent allègrement et en toute bonne foi la posologie prescrite. Ces entreprises doivent savoir qu’elles ne sont pas à l’abri d’un contrôle et d’une saignée violente sous forme de demande de restitution d’aides indûment perçues. Cela peut faire très mal.
Y a-t-il un remède ?
Il pourrait y en avoir un qui consisterait à adopter une position médiane. Par exemple, revenir à la règle de un de minimis par catégorie de dépenses avec un nombre de dépenses restreint (exemple 3 ou 4 catégories) et un montant de minimis limité par exemple à 100K€ par dépense.
Certaines aides de minimis actuelles pourraient ainsi être reversées dans l’une des catégories exemptées du RGEC. Par exemple, l’exonération de CFE en zone AFR pourrait très bien intégrer un plafond d’aide à finalité régionale en limitant l’exonération de CFE à un an ou en extrapolant son montant sur les deux années suivantes.
Dans sa configuration actuelle, il ne tient qu’à la Commission européenne que l’aide de minimis devienne un fardeau pour les entreprises qui doivent en principe tenir à jour une comptabilité de ces aides et refuser toute aide supplémentaire les faisant basculer du côté obscur des 200K€ sur trois ans. La nature humaine étant ce qu’elle est, pas évident …. Si la Commission européenne ne semble pas en mesure de systématiser la vérification de ces cumuls de minimis, elle peut très bien le faire de façon ad hoc à l’occasion d’une interrogation sur la pertinence d’une aide d’Etat en vérifiant que cette dernière ne se cumule pas avec des aides de minimis.