Par François GAGNAIRE, Consultant Aides d’Etat Conseil
Les faits :
La participation de l’État français dans le capital de FT (France Télécom devenue Orange, ci‑après « FT »), s’élevait En 2002, à 56,45 %. Au premier trimestre de l’année 2002, les comptes de FT affichaient une dette nette de 63,5 milliards d’euros et une perte de 8,3 milliards.
Au cours de la période du mois de mars au mois de juin 2002, les agences de notation Moody’s et Standard & Poor’s (ci‑après « S & P ») dégradent la note de FT dont le cours des actions enregistre une baisse significative. Le ministre de l’Économie déclare alors dans un entretien publié le 12 juillet 2002 dans le quotidien Les Échos, ce qui suit : « Nous sommes l’actionnaire majoritaire, avec 55 % du capital […] L’État actionnaire se comportera en investisseur avisé et si [FT] devait avoir des difficultés, nous prendrions les dispositions adéquates […] Je répète que si [FT] avait des problèmes de financement, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, l’État prendrait les décisions nécessaires pour qu’ils soient surmontés. Vous relancez la rumeur d’une augmentation de capital… Non, certainement pas ! J’affirme simplement que nous prendrons, en temps utile, les mesures adéquates. Si c’est nécessaire […] »
S & P publie alors un communiqué de presse : « FT pourrait rencontrer certaines difficultés à refinancer sa dette obligataire venant à échéance en 2003. Néanmoins, l’indication de l’État [français] soutient la notation de FT au [niveau] d’investissement [sûr] […] [L]’État français – qui détient 55 % de [FT] – a clairement indiqué à [S & P] qu’il se comporterait en investisseur avisé et qu’il prendrait les dispositions adéquates si FT devait avoir des difficultés […] »
Le 13 septembre 2002, FT publie ses comptes semestriels qui confirment son état d’endettement avec cependant un chiffre d’affaires affichant une progression de 10 % et un résultat opérationnel de 3,18 milliards d’euros en augmentation de 15 %.
Dans un communiqué de presse sur la situation financière de FT en date du 13 septembre 2002 (ci‑après la « déclaration du 13 septembre 2002 »), les autorités françaises déclarent ce qui suit : « Après les pertes exceptionnelles constatées au premier semestre, [FT] se trouve confrontée à une grave insuffisance de fonds propres [..]. Le [g]ouvernement [français] est donc déterminé à exercer la plénitude de ses responsabilités […] Le nouveau président proposera très rapidement au conseil d’administration un plan de redressement des comptes, permettant [le] désendettement [de FT] et le rétablissement de sa structure financière, tout en maintenant ses atouts stratégiques. L’État [français] apportera son soutien à [FT] dans la mise en œuvre de ce plan et contribuera, pour sa part, au renforcement très substantiel des fonds propres de [FT] (..) D’ici là, l’État [français] prendra, si cela est nécessaire, les mesures permettant d’éviter à [FT] tout problème de financement. »
Ce même jour, Moody’s, dans un communiqué de presse indique notamment :
« La confiance de Moody’s a été renforcée par la déclaration du gouvernement [français], qui, une fois de plus, a confirmé son fort soutien envers [FT]. (..) Moody’s est devenu plus confiant quant au fait que le gouvernement français [soutiendra FT] si [elle] devait rencontrer des difficultés dans le remboursement de sa dette. »
Le 2 octobre 2002, la teneur du communiqué de presse annonçant la nomination du nouveau PDG de FT (ci‑après la « déclaration du 2 octobre 2002 ») est la suivante :
« […] À cette fin, le nouveau [p]résident va lancer immédiatement un état des lieux de [FT] dont les résultats seront communiqués au [c]onseil d’administration dans les semaines à venir et sur lequel s’appuiera un plan de redressement financier et de développement stratégique, permettant de réduire la dette de [FT] tout en renforçant ses atouts. Dans ce cadre, [le nouveau président‑directeur général de FT] disposera du soutien de l’État actionnaire, qui est déterminé à exercer toutes ses responsabilités. L’État [français] apportera son concours à la mise en œuvre des actions de redressement et contribuera, pour sa part, au renforcement des fonds propres de [FT] (..). Comme il l’a déjà indiqué, l’État [français] prendra dans l’intervalle, si cela est nécessaire, les mesures permettant d’éviter à [FT] tout problème de financement. »
Le 19 novembre 2002, les autorités françaises transmettent à la Commission une « note d’information », qui, d’une part, décrit la situation financière difficile de FT tout en mettant en exergue « ses performances opérationnelles sont excellentes » et, d’autre part, fait état de leur intention de participer à une recapitalisation de FT dans les conditions du marché en expliquant les modalités de leur contribution au plan de redressement de FT. Les autorités françaises vont même plus loin en précisant que : « Afin de donner à [FT] la marge de manœuvre nécessaire pour aborder le marché dans les meilleures conditions et au moment le plus opportun, l’État [français] est disposé à anticiper sa participation à l’augmentation de capital sous forme d’une avance d’actionnaire qui sera convertie en capital au moment de l’émission de nouveaux titres. Le montant de cette avance correspondra à tout ou partie de la souscription de l’État [français] à la future augmentation de capital et pourra s’élever jusqu’à 9 [milliards d’euros]. Cette avance sera temporaire et sa conversion en titres sera obligatoire. Elle ne sera tirée qu’au fur et à mesure des besoins de [FT]. Elle sera par ailleurs rémunérée aux conditions du marché actuellement en vigueur et les intérêts seront incorporés au capital.
Pour mettre en œuvre sa participation au plan de redressement de [FT], l’État [français] entend utiliser l’ERAP, établissement public industriel et commercial de l’État [français,] qui accordera à [FT] une avance d’actionnaire et aura vocation à devenir un actionnaire important de [FT] une fois cette avance convertie en capital. Portant la participation publique dans [FT] à son actif, cet établissement public aura à son passif des dettes obligataires. Ce choix de l’ERAP reflète la volonté de l’État [français] d’identifier clairement l’effort patrimonial consenti en l’isolant dans une structure dédiée. »
Le 4 décembre 2002, les nouveaux dirigeants de FT présentent un plan d’action intitulé « Ambition France Télécom 2005 » (ci‑après le « plan Ambition 2005 ») visant essentiellement à rééquilibrer le bilan de l’entreprise par un renforcement de ses fonds propres à hauteur de 15 milliards d’euros.
La présentation du plan Ambition 2005 est accompagnée par un communiqué de presse du ministre de l’Économie du 4 décembre 2002 (ci‑après l’« annonce du 4 décembre 2002 »), qui se lit comme suit :
« […] 3) Compte tenu du plan d’action élaboré par les dirigeants et des perspectives de retour sur investissement, l’État [français] participera au renforcement des fonds propres de 15 milliards d’euros au prorata de sa part dans le capital, soit un investissement de 9 milliards d’euros. L’État [français] actionnaire entend agir ainsi en investisseur avisé []. Pour donner à [FT] la possibilité de lancer une opération de marché au moment le plus opportun, l’État [français] est prêt à anticiper sa participation au renforcement des fonds propres, à travers une avance d’actionnaire temporaire, rémunérée à des conditions de marché, mise à disposition de [FT]. 4) L’ERAP […] se verra transférer l’intégralité de la participation de l’État [français] dans [FT]. Il s’endettera auprès des marchés financiers pour financer la part de l’État [français] dans le renforcement des fonds propres de [FT]. »
Les 11 et 12 décembre 2002, FT lance deux émissions obligataires successives pour un montant total de 2,9 milliards d’euros. Le 20 décembre 2002, l’ERAP, établissement public industriel et commercial de l’État français, communique à FT un projet de contrat d’avance d’actionnaire paraphé et signé (ci‑après l’« offre d’avance d’actionnaire »). Cette dernière n’a pas signée, ce projet de contrat et l’offre d’avance d’actionnaire n’a jamais été exécutée.
Le 15 janvier 2003, FT a réalisé des emprunts sous forme d’émissions obligataires pour un montant total de 5,5 milliards d’euros. Ces emprunts obligataires n’étaient pas couverts par une sûreté ou une garantie étatique. Le 10 février 2003, FT a renouvelé une partie d’un crédit syndiqué venant à échéance à concurrence de 15 milliards d’euros.
Le 4 mars 2003, l’opération de renforcement des fonds propres envisagée par le plan Ambition 2005 a été lancée. Le 24 mars 2003, FT a effectué une augmentation de capital de 15 milliards d’euros. L’État français a participé à cette opération à hauteur de 9 milliards d’euros au prorata de sa part dans le capital de FT. Un montant de 6 milliards d’euros a été garanti par un syndicat bancaire composé de 21 banques. Cette opération a été clôturée le 11 avril 2003.
FT a clôturé l’exercice 2002 avec une perte d’environ 21 milliards d’euros et une dette financière nette d’environ 68 milliards d’euros. Les comptes de l’exercice 2002 publiés par FT le 5 mars 2003 affichaient une hausse du chiffre d’affaires de 8,4 %, du résultat d’exploitation avant amortissements de 21,1 % et du résultat d’exploitation de 30,9 %. Le 14 avril 2003, l’État français détenait 58,9 % du capital de FT, dont 28,6 % par l’intermédiaire de l’ERAP.
Au final, l’intervention de l’Etat français « se résume » donc à une participation de 9 Milliards dans l’augmentation de capital de FT au prorata de sa participation initiale
Le contentieux :
Par décision (n° 2006/621/CE) du 2 août 2004, la Commission considère que l’augmentation de capital replacée dans le contexte des déclarations du gouvernement français incluant celle du 4 décembre 2002 relative à l’augmentation de capital équivaut à une aide incompatible dont la restitution n’est pas demandée.
Cette décision comporte de nombreuses interrogations sur la question du transfert effectif de ressources étatiques et sur celle connexe de l’évaluation de la déclaration du gouvernement relative à l’offre d’avance d’actionnaire. Les deux attendus suivants de l’arrêt du Tribunal en date du 21 mai 2010 (AFF T-425, 444, 450 et 456/04) résument assez bien le contexte juridique :
« Le Tribunal en a conclu, au point 309 de l’arrêt du 21 mai 2010 (..) que, même s’il était loisible à la Commission de tenir compte de l’ensemble des événements ayant précédé et influé sur la décision définitive prise par l’État français en décembre 2002 de soutenir FT au moyen d’une offre d’avance d’actionnaire pour caractériser un avantage, elle n’avait pas réussi à démontrer l’existence d’un transfert de ressources d’État connexe à cet avantage. Selon le Tribunal, la circonstance que les déclarations depuis le mois de juillet 2002 ainsi que l’annonce du 4 décembre 2002 ont entraîné un avantage en faveur de FT consistant dans le rétablissement de la confiance des marchés financiers et l’amélioration des conditions du refinancement de FT n’a pas pour contrepartie une diminution correspondante du budget étatique ou un risque économique suffisamment concret de charges grevant ce budget. Le Tribunal a relevé, en particulier, que cet avantage était distinct de celui que l’offre d’avance d’actionnaire était susceptible de comporter et que la décision attaquée avait omis d’établir à suffisance (point 74 de l’arrêt)
Par conséquent, le Tribunal a jugé, au point 310 (..) que la Commission avait méconnu la notion d’aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE en considérant que l’offre d’avance d’actionnaire, placée dans le contexte des déclarations depuis le mois de juillet 2002, comportait l’octroi d’un avantage en faveur de FT qui résultait d’un transfert de ressources d’État (..) » (Point 75).
L’arrêt du Tribunal va être annulé par un pourvoi devant la CJUE (arrêt du 19 mars 2013 AFF C-399 et 401/10P) et l’affaire va être renvoyée devant le même Tribunal.
La CJUE dans son pourvoi considère principalement que le Tribunal aurait dû s’interroger sur la possible existence d’une opération unique englobant l’ensemble des déclarations et l’avance d’actionnaire et que la non prise en compte de cette hypothèse ne saurait être écartée par la question du transfert de ressource effectif lié à chaque opération aux fins de leur qualification en aide d’Etat :
«(..) À cet égard, la Cour a notamment déclaré que, les interventions étatiques prenant des formes diverses et devant être analysées en fonction de leurs effets, il ne saurait être exclu que plusieurs interventions consécutives de l’État doivent, aux fins de l’application de l’article 87, paragraphe 1, CE, être considérées comme une seule intervention (..). Selon la Cour, tel peut notamment être le cas lorsque des interventions consécutives présentent, au regard notamment de leur chronologie, de leur finalité et de la situation de l’entreprise au moment de ces interventions, des liens tellement étroits entre elles qu’il est impossible de les dissocier (..). La Cour en a conclu que, en ayant estimé qu’il était nécessaire d’identifier une diminution du budget étatique ou un risque économique suffisamment concret de charges grevant ce budget étroitement lié et correspondant à, ou ayant pour contrepartie, un avantage spécifique découlant soit de l’annonce du 4 décembre 2002 soit de l’offre d’avance d’actionnaire, le Tribunal avait commis une erreur de droit en ayant appliqué un critère de nature à exclure d’emblée que ces interventions étatiques puissent, en fonction des liens entre elles et de leurs effets, être considérées comme une seule intervention » (point 105 du pourvoi).
Enfin, la Cour vient apporter des précisions sur ce qu’il faut entendre par un transfert de ressources publiques.
(..) À cet égard, la Cour a déclaré, en substance, que, si, aux fins de la constatation de l’existence d’une aide d’État, la Commission doit établir un lien suffisamment direct entre, d’une part, l’avantage accordé au bénéficiaire et, d’autre part, une diminution du budget étatique, voire un risque économique suffisamment concret de charges le grevant, en revanche, il n’est pas nécessaire qu’une telle diminution, voire un tel risque, corresponde ou soit équivalent audit avantage, ni que ce dernier ait pour contrepartie une telle diminution ou un tel risque, ni qu’il soit de même nature que l’engagement de ressources d’État dont il découle (idem, points 109 et 110) ».
Dans son arrêt du 2 juillet 2015 (AFFT-425 et 444/04), le Tribunal prend en compte les constats de la Cour et s’interroge en premier lieu sur la mesure sur laquelle la Commission se devait d’appliquer le critère de l’investisseur privé. Comme le constate le Tribunal, la Commission s’est focalisée sur la déclaration de juillet 2002 alors que ce sont la déclaration de décembre 2002 et l’annonce de l’avance d’actionnaire qui devraient être considérées comme ayant accordé un avantage à FT et qui auraient dû faire l’objet d’une analyse au regard du critère de l’investisseur privé : « L’application du critère de l’investisseur privé avisé, pour l’essentiel, aux seules déclarations depuis le mois de juillet 2002 et, singulièrement, à la déclaration du 12 juillet 2002, est d’autant plus erronée que, ainsi que la Commission l’a relevé aux considérants 188, 189, 218 et 219 de la décision attaquée, elle ne disposait pas d’éléments suffisants pour pouvoir prendre position sur le point de savoir si ces déclarations étaient, en elles‑mêmes, susceptibles de constituer une aide d’État » (point 212 de l’arrêt).
Or, il n’est pas démontré que cette déclaration de juillet 2002 puisse être assimilée à une ressource d’Etat en ce sens que la Commission se doit de démontrer un lien suffisamment direct entre l’avantage octroyé au bénéficiaire et une diminution du budget étatique, voire un risque suffisamment concret de charge le grevant : « À cet égard, il suffit de relever qu’il ressort des considérants 188, 189, 218 et 219 de la décision attaquée que la Commission elle‑même a estimé qu’elle ne disposait pas d’éléments suffisants pour pouvoir établir de manière irréfutable que les déclarations depuis le mois de juillet 2002 étaient de nature à engager des ressources d’État. En outre, dans sa réponse à une question écrite que le Tribunal lui a posée dans les présentes affaires, la Commission, se référant aux considérants précités, a précisé qu’« il ne [faisait] aucun doute [qu’elle] n’[avait] pas tranché la question de savoir en quoi ces déclarations, qui pourraient être considérées comme juridiquement et économiquement contraignantes au regard du droit national pertinent, pourraient de ce fait être qualifiées, en tant que telles, de mesures d’aides engageant des ressources d’État ». La Commission a ajouté qu’elle entendait ainsi souligner l’existence de « risques réels » que lesdites déclarations puissent, d’une part, être perçues comme juridiquement contraignantes et, d’autre part, avoir des conséquences économiques, mais que, par prudence, elle n’avait pas voulu conclure à l’existence d’un engagement de ressources d’État sur le seul fondement de ces risques (point 217).
Il convient de conclure de ce qui précède que la Commission a commis une erreur de droit en appliquant le critère de l’investisseur privé avisé, en priorité et pour l’essentiel, aux déclarations depuis le mois de juillet 2002 et, singulièrement, à la déclaration du 12 juillet 2002 (idem point 218).
Le Tribunal se penche également sur la thèse de la Commission consistant à affirmer toujours par rapport à l’utilisation du critère de l’investisseur privé que la déclaration de juillet 2002 avait « contaminé » la suite des évènements et qu’elle avait en quelque sorte généré l’aide ultérieure. Le Tribunal rejette cette thèse et démontre de façon très claire que les déclarations de l’Etat français jusqu’à la fameuse déclaration de décembre ne l’engageaient en fait pas réellement et que, de surcroît, la déclaration relative à l’apport d’associé (véritable point de départ du critère de l’opérateur privé s’il fallait en déterminer un et ne pas prendre en compte l’ensemble des développement depuis les déclarations de juillet 2002) s’est effectuée dans un contexte qui avait radicalement changé depuis juillet (confiance des marchés, confiance des agences de notation, intervention de garants privés) et qui tendrait plutôt à faire de l’intervention de l’Etat une intervention conforme à celle d’un investisseur privé. A ce sujet et concernant les déclarations antérieures à décembre, le Tribunal considère à fort juste titre que :
« Certes, par les déclarations depuis le mois de juillet 2002 et en usant ainsi de sa réputation de débiteur/créditeur solvable et fiable auprès des marchés financiers, l’État français a volontairement entendu influer sur la réaction de ces marchés, rétablir la confiance de ceux‑ci et, en particulier, chercher à obtenir le maintien de la notation de FT dans le but de préparer un refinancement solide et moins coûteux de cette entreprise à un stade ultérieur. Toutefois, comme le relève à juste titre FT dans son mémoire d’observations écrites du 31 mai 2013, l’État français n’a ainsi rien fait d’autre que faire jouer les règles particulières de fonctionnement des marchés financiers afin de stabiliser la position économique de FT à court terme, et ce précisément dans le but de réunir les conditions entrepreneuriales et financières indispensables à la prise de mesures de soutien plus concrètes devant intervenir ultérieurement. Ce faisant, l’État français a précisément adopté l’attitude prudente et diligente d’un investisseur privé qui veille à ce que toutes les conditions requises soient réunies avant de prendre un engagement irrévocable de soutien ou d’investissement. Dans ce contexte, l’allégation très peu circonstanciée de la Commission selon laquelle aucun investisseur privé n’aurait été en position d’influencer le marché comme l’a fait l’État français par ses déclarations depuis le mois de juillet 2002 ne saurait être accueillie. En effet, il ne saurait être exclu a priori qu’un investisseur privé, le cas échéant, de dimension internationale et d’un poids économique considérable, suive la même stratégie et obtienne le même résultat auprès des marchés financiers » (point 247 de l’arrêt).
Le Tribunal considère ici qu’outre le fait que la Commission se soit trompé dans son évaluation de la chronologie des évènements décisifs, elle n’aurait pas tenu compte du scénario contrefactuel qui consiste pour un actionnaire majoritaire d’une entreprise en difficulté à rassurer les marchés afin d’en obtenir le soutien.
Enfin, concernant le caractère unique de l’opération qui permettrait de gommer l’erreur de la Commission dans la détermination du stade d’octroi d’aide et d’utilisation du critère de l’investisseur privé (la déclaration de juillet 2002 en lieu et place de celle de décembre couplée à l’avance d’actionnaire), le Tribunal considère que : « Dans la décision attaquée, les déclarations depuis le mois de juillet 2002 sont, certes, analysées conjointement avec l’intervention étatique unique qualifiée d’aide d’État, en l’occurrence l’annonce du 4 décembre 2002 couplée avec l’offre d’avance d’actionnaire, mais uniquement en tant qu’éléments de « contexte » de ladite intervention. Cela est confirmé par la Cour dans l’arrêt sur pourvoi, lorsqu’elle indique qu’« il ressort du considérant 185 de la décision [attaquée] que l’objet de celle‑ci porte sur l’avance d’actionnaire qui avait été notifiée à la Commission et que les déclarations depuis le mois de juillet 2002 ne sont prises en compte que pour autant qu’elles sont objectivement pertinentes pour l’appréciation de ladite avance » (arrêt sur pourvoi, point 73), que, « [a]insi, la Commission n’a examiné lesdites déclarations que pour autant qu’elles forment le contexte de cette dernière mesure » et qu’« il ressort de l’article 1er de la décision [attaquée] qu’elle se limite à qualifier l’avance d’actionnaire d’aide d’État incompatible avec le marché commun et […] mentionne les déclarations depuis le mois de juillet 2002 uniquement comme formant le contexte de l’aide constatée » (arrêt sur pourvoi, point 75).
La Cour de justice dans son arrêt du 30 novembre 2016 (AFF C-486/15) va confirmer en tous points l’arrêt du Tribunal.
Outre la question d’un transfert effectif (ou très probable) de ressources étatiques qui en l’occurrence s’avère improductive par erreur de ciblage (déclaration de juillet en lieu et place de celle de décembre), il est évident que le Tribunal considère que la Commission aurait dû procéder autrement afin d’évaluer la situation et qu’elle serait parvenu à une conclusion différente.
La Commission pouvait à l’évidence qualifier l’opération « d’opération unique » incluant l’ensemble des déclarations du gouvernement. Elle ne l’a pas fait en distinguant de simples éléments de contexte. Une fois l’opération unique démontrée, il ne restait plus à la Commission qu’à mettre en œuvre son analyse contrefactuelle de type 2 lui permettant de mettre en évidence qu’aux vue des interventions antérieures de l’Etat auprès de la société (sa détention initiale de capital), les nouveaux fait devaient être jugés au regard des faits antérieurs et de la mise en perspective de l’action de l’Etat propriétaire. Ce raisonnement aurait sans aucun doute abouti à la reconnaissance d’une absence d’aide comme le suggère d’ailleurs le point 247 de l’arrêt ci avant mentionné.