Articles juridiquesL’équivalent subvention et la transparence d’une aide ? C’est quoi ?

26 août 2018

Par François GAGNAIRE, Consultant Aides d’Etat Conseil

Transparence des aides

C’est avant tout un calcul, une formule magique permettant de transformer un avantage « informe » en charmante subvention. Plus sérieusement, c’est un calcul visant à rendre transparente une aide qui ne l’est pas. Toujours pas clair ?

Une aide transparente, c’est un aide dont on connaît le montant. Autrement dit, l’équivalent subvention (ci-après ES), la valeur en euros sonnants et trébuchants. Une aide non transparente est une aide dont on ne connaît pas d’emblée le montant exact et, ça pose problème… On ne connaît pas d’emblée le montant de ces aides parce qu’elles se présentent sous des formes autres que la subvention pure et simple. Par exemple, le fait d’avoir bénéficié d’un prêt à des conditions plus favorables que celles proposées par le marché est bien une aide. Mais encore faut-il la traduire en euros afin de la rendre transparente.

Pourquoi les aides non transparentes posent-elles problèmes ? Tout simplement parce que le droit des aides d’Etat comprend de multiples règles tendant à approuver, tout en les plafonnant (en pourcentage/taux d’intensité ou en valeur absolue comme dans le cadre de la règle de minimis), les aides d’Etat, en fonction de leurs finalités (environnement, RDI…) ou de leurs modalités d’octroi (prêts, garanties, capital risque, rabais, tarifs préférentiels, exonérations de charges fiscales et sociales…). Les plafonds d’aides sont le plus souvent exprimés en pourcentage des dépenses éligibles.

Les dépenses éligibles sont les dépenses que la Commission considère comme étant susceptibles de bénéficier d’une aide. Elles en constituent l’assiette. On peut ainsi assimiler les termes « dépenses éligibles » et « assiettes éligibles ». Un projet d’investissement, quelle que soit sa finalité, n’est que rarement intégralement éligible à une aide. Certaines dépenses (non éligibles) seront donc soustraites de l’assiette des dépenses éligibles et des calculs de seuil et d’intensité. Par exemple, l’acquisition du terrain nécessaire à la construction d’une unité de production ne sera pas pris en compte dans l’assiette des dépenses éligibles de l’investissent et le seuil d’aide toléré ne portera que sur la partie (l’assiette) construction du projet.

A chaque finalité ou forme d’aide, à chaque type de régime d’aides correspondent des dépenses éligibles spécifiques. Ces dépenses éligibles ne sont pas nécessairement identiques au sein d’une même thématique d’aide. Par exemple, les assiettes éligibles R§D ne sont pas exactement les mêmes que retenus pour l’innovation. Au sein d’une même catégorie d’aides, par exemple les aides à la RDI (Recherche, Développement, Innovation), peuvent cohabiter plusieurs plafonds d’intensité d’aides (un plafond de 100% pour la recherche fondamentale, de 50% pour la recherche industrielle, de 25% pour le développement expérimental etc….). Ces plafonds sont eux-mêmes susceptibles de pondérations. Par exemple, si l’investissement R§D (Recherche et Développement) s’inscrit dans une phase de développement expérimental et qu’il est porté par une petite entreprise, le taux d’aide passera de 25 à 45% des dépenses éligibles (+ 20 points/ majoration petites entreprises).

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ES et prix de marché

Si l’on prend l’exemple de la vente d’un terrain par l’Etat, le raisonnement est le suivant. Un grincheux considère que l’Etat a vendu à l’un de ses concurrents et, sous sa valeur, et donc en accordant une aide à l’acheteur, un terrain lui appartenant. La Commission européenne ou le juge saisi va d’abord se pencher sur le prix de la vente. La question est : l’Etat s’est-il comporté en vendeur privé soucieux de maximiser le produit de sa vente comme le ferait tout vendeur privé normalement constitué ? Pour répondre à cette question, la communication de la Commission de 1997 sur les éléments d’aide contenus dans les ventes de terrains et de bâtiments par les pouvoirs publics est l’instrument idoine. Soit la vente s’est effectuée par voie d’une procédure d’offre ouverte et inconditionnelle. Soit la vente ne s’est pas réalisée dans ces conditions. Dans la première hypothèse il n’y a pas d’aide, le prix de vente est un prix de marché. Dans la seconde, il faudra nommer un expert indépendant en charge de reconstituer un prix de marché. Si ce dernier correspond à plus ou moins 5% au prix de vente, il n’y a pas d’aide. Dans le cas contraire, la vente ne s’est pas faite au prix du marché, un vendeur privé n’y aurait pas consenti à ces conditions. Le différentiel entre le prix de marché et le prix de vente représente un ES constitutif d’une aide d’Etat.

ES des prêts et garanties

Entre tous, le domaine de prédilection de l’équivalent subvention demeure celui de l’ingénierie financière et d’abord, celui des prêts et garanties pour lesquels la Commission européenne a publié deux communications (Communication du 19 janvier 2008 relative à la révision de la méthode de calcul des taux de référence et d’actualisation au JOCE n° C14/2008 et Communication du 20 juin 2008 sur l’application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides d’État sous forme de garanties au JOCE n° C 155/2008) fournissant les méthodologies labellisées permettant de vérifier qu’un prêt (ou une garantie) a bien été consenti aux conditions du marché et, dans le cas contraire, de calculer l’équivalent subvention inclus dans ce prêt ou cette garantie.

Dans les deux cas, la Commission confirme que son appréciation, pour déterminer si un prêt ou une garantie contiennent une aide d’Etat, repose sur le critère de l’investisseur privé en économie de marché. Ainsi, selon le point 3.1 de la communication sur les garanties : « Il convient donc de tenir compte des possibilités effectives d’une entreprise bénéficiaire d’obtenir des ressources financières équivalentes en ayant recours au marché des capitaux. Il n’y a pas aide d’État lorsqu’une nouvelle source de financement est offerte à des conditions qui seraient acceptables pour un investisseur privé dans les conditions normales d’une économie de marché »

La communication concernant les prêts part du taux LIBOR à un an. Ce taux est un taux interbancaire, autrement dit le taux auquel une banque A prête de l’argent à une banque B sans aucune garantie en contrepartie. A ce taux de base s’ajoutent deux pondérations directement corrélées aux fondamentaux de l’entreprise qui perçoit le prêt. Ces pondérations vont relever le taux LIBOR de base.

La première de ces pondérations est celle de la santé de l’entreprise (colonne de gauche, 4x situations), la seconde, le niveau de ses suretés (trois niveaux).

                                                      Marges de prêts en points de base

   Notation de l’entreprise                     Niveau de suretés de l’entreprise
Elevé Normal bas
Solide AAA 60 75 100
Bonne BBB 75 100 220
Satisfaisante BB 100 220 400
Faible B 220 400 650

La notation de l’entreprise est celle donnée par la banque de France ou, le cas échéant, par la Banque de l’entreprise. Les suretés de l’entreprise, ce sont les garanties accordées au créancier pour le paiement de sa créance. Plus simplement, ce sont les garanties de paiement que peut apporter le débiteur afin de régler sa dette. Pour faire simple, si vous empruntez de l’argent et que vous disposez d’un patrimoine conséquent couvrant le montant du prêt engagé, le niveau de vos suretés sera considéré comme élevé. A noter que le niveau de sureté n’est pas automatiquement corrélé à celui de la santé de l’entreprise. Une entreprise peut être en excellente santé et ne pas disposer pour autant de beaucoup de suretés et inversement.

Comme le montre le tableau, mieux vaut être une entreprise en bonne santé avec un faible niveau de sureté bas (+ 100 points de base) qu’une entreprise en difficulté disposant d’un niveau de suretés élevé (+ 400 points de base)

Les deux pondérations sont liées et aboutissent à une seule pondération exprimée en points de base. Une fois que vous disposez du taux LIBOR, de la notation de votre entreprise et de votre niveau de sureté, vous obtenez le taux d’intérêt de marché.

Exemple : le taux LIBOR est de 1%. Votre notation est bonne et le niveau de suretés de votre entreprise est normal, votre taux sera de 1% + 100 points de base (le point de base est égal à 1/100ème de point de pourcentage), soit 1 point de pourcentage supplémentaires, soit 2%.

Si votre notation est mauvaise et que votre taux de suretés est bas, votre taux de référence sera de 1% (LIBOR) + 1000 points de base, soit 11%.

Une fois déterminé le taux d’intérêt devant s’appliquer au prêt, il suffit de le comparer au taux réellement consenti. Si ce taux est identique, le prêt a été accordé au taux du marché, il n’y a pas d’aide. Si le taux est inférieur, le différentiel entre les deux taux sera constitutif de l’ES du prêt.

Exemple : j’ai une mauvaise notation et mon taux de sureté est bas. Je devrais normalement me voir appliquer un taux d’intérêt de 11%. Le taux qui m’a été accordé est de 5%. L’équivalent subvention contenu dans le prêt est donc de 6 points de pourcentage. Pour un prêt de 100K€ sur 1 an, cela représente (schématiquement) 5000€ d’équivalent subvention. Le prêt peut aussi connaître un différé de remboursement dont la durée sera prise en compte dans la pondération de base.

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La communication concernant les garanties : Le calcul de l’ES des garanties repose sur des bases proches. Il s’agit cette fois-ci d’estimer si oui ou non le montant de la garantie accordée à l’occasion (principalement) d’un prêt est conforme au prix du marché.

Il faut ainsi distinguer les garanties individuelles des régimes de garanties. Pour les garanties individuelles, il faut dissocier l’analyse des garanties individuelles accordées aux PME de celles accordées à de grandes entreprises. Pour ce qui est des PME, l’analyse est dite « simplifiée ». A la notation de l’entreprise correspond directement un montant de prime refuge (même technique que pour les prêts moins la prise en compte du niveau de sureté). Par exemple, une PME notée A bénéficiera d’une prime refuge de 0,4%. Une PME qui n’a pas d’antécédent en matière de crédit ou dont la notation repose sur une approche bilancielle devra s’acquitter d’une prime refuge annuelle de 3,8% du montant du prêt.

Pour les régimes de garanties, deux options sont ouvertes. On peut soit utiliser le système des primes refuges (analyse dite simplifiée), soit utiliser le système de la prime unique. Cette seconde hypothèse de mutualisation des risques est plus complexe dans la mesure où le régime devra concerner des entreprises dans des situations comparables afin que certaines ne bénéficient pas d’une prime trop basse. L’avantage de cette seconde option réside dans le fait que la prime unique sera moins onéreuse à mettre en place que l’étude individuelle de chacune des PME à l’occasion d’un nouveau prêt…

ES et règle de minimis

La règle de minimis (en dernier lieu le règlement n° 1407/2013 du 18 décembre 2013) plafonne les aides à 200K€ par entreprises sur trois exercices fiscaux. Cette règle comporte des exceptions et comprend un article 4 relatif au calcul de l’équivalent-subvention brut (avant impôts ou autres prélèvements).

Il est précisé au §1 de cet article 4 que : « Le présent règlement ne s’applique qu’aux aides pour lesquelles il est possible de calculer précisément et préalablement l’équivalent-subvention brut (..) ». Nous y reviendrons dans notre dernier développement relatif au sort des aides non transparentes pour lesquelles le calcul de l’ES est impossible.

Les paragraphes 3 et 6 traitent respectivement des aides de minimis aux prêts et garanties qui ne sont considérées comme des aides de minimis transparentes que si : « c) si l’équivalent-subvention brut a été calculé sur la base du taux de référence applicable au moment de l’octroi de l’aide » (article 4§3 point c du règlement/ article 4§6, point c pour les garanties). Cette disposition signifie que lorsque les Etats utilisent la règle de minimis comme base juridique à l’octroi d’un prêt ou d’une garantie bonifiés, il se doit d’en calculer a priori l’ES (voir les méthodes ci-avant) afin que l’aide de minimis demeure transparente (voir l’arrêt Pollmeier du 17/03/2015).

Quid des aides non transparentes ?

Présomption d’incompatibilité

Pour rappel, les aides non transparentes sont des aides dont on ne peut calculer l’ES. Ces aides dont l’ES équivaut à 100% de leur montant sont en principe incompatibles avec le droit communautaire.

Il s’agit par exemple des garanties illimitées ou des garanties portant sur plus de 80% des sommes empruntées. Il peut aussi s’agir du conditionnement du remboursement d’un prêt ou d’une avance dont le remboursement est conditionné à la réussite du projet financé. Il est dans cette hypothèse impossible de déterminer à priori si le prêt sera remboursé car on ne peut savoir d’emblée si le projet réussira ou non.

On classe également parmi ces aides non transparentes les aides aux entreprises en difficulté sur lesquelles pèsent trop d’incertitudes rendant les prêts, garanties, prises de participations et autres totalement assimilables à des aides de surcroît incompatibles.

Exceptions « techniques »

Cette présomption d’incompatibilité des aides non transparentes peut être levée dans deux hypothèses.

a/La première hypothèse est posée à l’article 4 du règlement de minimis n° 1407/2013. Aux termes de cet article, les aides non transparentes de minimis demeurent compatibles dans trois sous-hypothèses qui n’en constituent à notre sens qu’une seule :

Les paragraphes 4 et 5 de l’article 4 stipulent que :

« 4. Les aides consistant en des apports de capitaux ne sont considérées comme des aides de minimis transparentes que si le montant total de l’apport de capitaux publics ne dépasse pas le plafond de minimis.

5.Les aides consistant en des mesures de financement de risques prenant la forme d’investissements en fonds propres ou quasi-fonds propres ne sont considérées comme des aides de minimis transparentes que si les capitaux fournis à une entreprise unique n’excèdent pas le plafond de minimis».

Dans ce contexte de l’utilisation de l’ingénierie financière sur une base de minimis, seul importe au final que les financements apportés n’excèdent pas le plafond de minimis. Et pour cause, non transparents, ces apports doivent être considérés des aides dans leur intégralité. Leur montant nominal ne doit donc logiquement pas excéder 200K€ sur trois ans. Pour mémoire, la règle de minimis n’est pas fondée sur un pourcentage maximal d’intervention mais sur un seuil fixé en valeur absolue. En dessous de ce seuil, l’aide accordée peut atteindre une intensité de 100%.

Le paragraphe 7 de l’article 4 complète le tableau des exemptions de minimis aux aides non transparentes : « Les aides consistant en d’autres instruments sont considérées comme des aides de minimis transparentes dès lors que ces instruments prévoient un plafond garantissant que le seuil applicable n’est pas dépassé ». Au-delà de l’ingénierie financière couverte par les articles 21 et 22 du RGEC 2014-2020 incluant les jeunes pousses avec pour ces dernières l’équivalent de « de minimis renforcés », le paragraphe 7 vient intégrer tous les autres dispositifs, comme par exemple les avances remboursables, pris sur une base juridique de minimis à condition toujours de ne pas dépasser le plafond de minimis.

Les entreprises en difficulté entrent dans cette sous-hypothèse car le dernier règlement de minimis, contrairement à son prédécesseur, ne les exclut plus du bénéfice d’une aide de minimis.

Outre le plafond de de minimis qui permet dans presque tous les cas (voir les exclusions) d’accorder des aides non transparentes mais considérées comme de minimis transparentes n’excédant pas ce niveau, certaines aides non transparentes peuvent tout de même selon nous s’inscrire dans certains plafonds.

La seconde sous hypothèse est posée à l’article 5 du RGEC 2014-2020 consacré à la transparence des aides et dont les paragraphes 1 et 2 stipulent que :

« 1. Le présent règlement ne s’applique qu’aux aides pour lesquelles il est possible de calculer précisément et préalablement l’équivalent-subvention brut, sans qu’il soit nécessaire d’effectuer une analyse du risque («aides transparentes»).

2.Les catégories d’aides suivantes sont considérées comme transparentes: »

Au sein de ces catégories d’aides considérées comme transparentes, sont répertoriées les subventions, les prêts, les garanties, les aides sous forme d’avantages fiscaux (points a,b,c,d). A ces premières catégories bien identifiées relevant de la forme de l’aide, s’ajoutent cinq aides thématiques (points e,f,g,h,i). Enfin et c’est cette dernière qui nous intéresse, le point j) précise que :

«  j)  les aides sous forme d’avances récupérables, lorsque le montant nominal total de l’avance récupérable n’excède pas les seuils applicables en vertu du présent règlement ou lorsque, avant la mise en œuvre de la mesure, la méthode de calcul de l’équivalent-subvention brut de l’avance récupérable a été approuvée après notification de cette méthode à la Commission ».

Par exemple, on peut imaginer un projet de R§D avec une assiette éligible de 500K€ et un plafond d’aide autorisé de 20%. Le fait d’accorder une avance remboursable « en cas de succès » de 100K€ à l’entreprise reste compatible avec le plafond de 20% même si l’ensemble de l’avance non transparente sera considéré comme une aide. L’avance remboursable en cas de succès pourra donc trouver une base légale dans les plafonds RDI du RGEC par exemple…

Cet exemple est déclinable à d’autres thématiques et prouve que toutes les aides non transparentes ne sont qu’à priori incompatibles. Cette présomption d’incompatibilité peut être levée si le montant de la mesure d’aide non transparente (avec un ES de 100%) s’inscrit dans la règle de minimis (montant exprimé en valeur absolue) ou au-delà dans le contexte du respect des taux d’intensité fixés par le RGEC (montant exprimé en pourcentage/ taux d’intensité de l’aide).

 

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